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Cette fatigue de sa mère, cette insomnie qui tenait perpétuellement compagnie à sa fièvre, était une de ses souffrances. Quelquefois cela surmontait tout le reste :

– Voyons, donne moi un peu mon ouvrage, disait-elle en essayant de s’asseoir sur son lit. C’était une éclaircie dans cette ombre plus épaisse chaque jour. La maman Delobelle, qui voyait dans ce désir de malade une volonté de se reprendre à la vie, l’installait de son mieux, rapprochait la table. Mais l’aiguille était trop lourde, les yeux trop faibles, et le moindre bruit de voiture roulant sur le pavé, des cris montant jusqu’aux fenêtres rappelaient à Désirée que la rue, l’infâme rue, était là tout près d’elle. Non, décidément elle n’avait pas la force de vivre. Ah ! si elle avait pu mourir d’abord, et puis renaître… En attendant elle mourait, et s’entourait peu à peu d’un suprême renoncement. Entre deux aiguillées, la mère regardait son enfant toujours plus pâle.

– Es-tu bien ?

– Très bien…, répondait la malade avec un petit sourire navré qui éclairait une minute son visage douloureux, et en montrait tous les ravages, comme un rayon de soleil glissant dans un logis de pauvre, au lieu de l’égayer, en détaille mieux toute la tristesse et le dénûment. Après, c’étaient de longs silences, la mère ne parlant pas de peur de pleurer, la fille engourdie de fièvre, déjà enveloppée de ces voiles invisibles dont la mort entoure par une sorte de pitié ceux qui s’en vont, pour vaincre ce qui leur reste de forces et les emporter plus doucement, sans révolte.