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qu’elle n’était plus aimée et connaissait le nom de sa rivale. Elle ne leur en voulait pas, elle les plaignait plutôt. Seulement pourquoi était-il revenu ? Pourquoi lui avait-il donné si légèrement cette fausse espérance ? Comme les malheureux condamnés à l’obscurité d’un cachot accoutument leurs yeux aux nuances de l’ombre et leurs membres à l’étroit espace, et puis si on les amène un moment à la lumière, trouvent au retour le cachot plus triste, l’ombre plus épaisse ; elle aussi, la pauvre enfant, cette grande lumière survenue tout à coup dans sa vie l’avait laissée en se retirant plus morne de toute la captivité retrouvée. Que de larmes dévorées en silence depuis ce moment-là ! Que de chagrins contés à ses petits oiseaux ! Car cette fois encore c’était le travail qui l’avait soutenue, le travail acharné, sans répit, qui par sa régularité, sa monotonie, le retour constant des mêmes soins, des mêmes gestes, servait de modérateur à sa pensée.

Et de même que sous ses doigts les petits oiseaux morts retrouvaient un semblant de vie, ses illusions, ses espérances mortes elles aussi et pleines d’un poison bien plus subtil, bien plus pénétrant que celui qui volait en poudre autour de sa table de travail, battaient encore des ailes de temps en temps avec un effort mêlé d’angoisse et l’élan d’une résurrection. Frantz n’était pas tout à fait perdu pour elle. Quoiqu’il ne vint plus que rarement la voir, elle le savait là, l’entendait entrer, sortir, marcher sur le carreau d’un pas inquiet, et quelquefois, par la porte entre-bâillée, regardait sa silhouette aimée traverser le palier en courant. Il n’avait