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à deux battants pour laisser passer la voiture de gala.

Cette fois la mariée, immobile et comme endormie, sembla se réveiller subitement, et si toutes les lumières n’avaient pas été éteintes dans les immenses bâtiments, ateliers ou magasins, alignés sur la cour, Risler aurait pu voir un sourire de triomphe éclairer tout à coup ce joli visage énigmatique. Les roues adoucissaient leur bruit sur le sable fin d’un jardin, et bientôt s’arrêtaient devant le perron d’un petit hôtel à deux étages. C’était là qu’habitait le jeune ménage des Fromont, et Risler aîné avec sa femme allait s’installer au-dessus d’eux. L’habitation avait grand air. Ici le commerce riche se vengeait de la rue noire, du quartier perdu. Il y avait un tapis dans l’escalier jusque chez eux, des fleurs dans leur antichambre, partout des blancheurs de marbres, des reflets de glaces et de cuivres polis.

Pendant que Risler promenait sa joie par toutes les pièces de l’appartement neuf, Sidonie resta seule dans sa chambre. À la lueur de la petite lampe bleue suspendue au plafond, elle jeta d’abord un coup d’œil à la glace qui la reflétait de la tête aux pieds, à tout ce luxe jeune, si nouveau pour elle ; puis, au lieu de se coucher, elle ouvrit la fenêtre et resta immobile appuyée au balcon. La nuit était claire et tiède. Elle voyait distinctement la fabrique tout entière, ses innombrables fenêtres sans persiennes, ses vitres luisantes et hautes, sa longue cheminée se perdant dans la profondeur du ciel, et plus près ce petit jardin luxueux adossé au vieux mur de