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tout son dédain pour cet abominable Risler, le tyran grossier et farouche. Ses efforts tendaient surtout à ne pas laisser s’établir autour de la table ce silence terrible que les fourchettes entrechoquées scandent d’une façon ridicule et gênante.

Sitôt le déjeuner fini, Fromont jeune annonça qu’il retournait à Savigny. Risler aîné n’osa pas le retenir, en songeant que sa chère madame Chorche passerait son dimanche toute seule ; et sans avoir pu dire un mot à sa maîtresse, l’amant s’en alla par le grand soleil prendre un train de l’après-midi, toujours escorté du mari, qui s’entêta à le reconduire jusqu’à la gare.

Madame Dobson s’assit un moment avec Frantz et Sidonie sous une petite tonnelle qu’une vigne grimpante étoilait de ses bourgeons roses ; puis, comprenant qu’elle les gênait, elle rentra dans le salon, et, comme tout à l’heure, pendant que Georges était là, elle se mit à jouer et à chanter doucement, expressivement. Dans le jardin silencieux, cette musique étouffée, glissant à travers les branches, faisait comme un roucoulement d’oiseau avant l’orage.

Enfin ils étaient seuls. Sous le treillage de la tonnelle, encore nu et vide de feuilles, le soleil de mai brûlait trop. Sidonie s’abritait de la main en regardant les passants du quai. Frantz regardait dehors, lui aussi, mais d’un autre côté ; et tous deux, en affectant d’être tout à fait indépendants l’un de l’autre, se retournèrent au même instant dans une conformité de geste et de pensée.