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à côté d’elle, mais un peu plus loin. Elle lui annonçait leurs passants de la journée. C’était une distraction, un sujet à causerie ; et les longues heures de travail paraissaient plus courtes, espacées par des apparitions régulières de gens très occupés par eux aussi. Il y avait deux petites sœurs, un monsieur en paletot gris, un enfant qu’on menait au collège et qu’on en ramenait, et un vieil employé à jambe de bois, dont le pas sonnait sur le trottoir sinistrement.

Celui-là on le voyait à peine : il passait quand la nuit était déjà tombée, mais on l’entendait, et chaque fois ce bruit arrivait à la petite boiteuse comme un écho violent de ses pensées les plus tristes. Tous ces amis de la rue occupaient sans le savoir les deux femmes. S’il pleuvait on disait : « Ils vont être mouillés… L’enfant sera-t-il rentré avant l’averse ? » Et aux changements de saisons, que le soleil de mars inondât les trottoirs ruisselants ou que la neige de décembre les couvrit de ses bourrelets blancs et de ses plaques noires, l’apparition d’un vêtement nouveau sur un de leurs amis faisait penser aux deux recluses : « C’est l’été » ou bien « Voici l’hiver ».

Or ce jour-là était la fin d’un jour de mai, une de ces soirées lumineuses et douces, où la vie des maisons se répand dehors par les croisées ouvertes. Désirée et sa mère activaient leurs aiguilles et leurs doigts, épuisant le jour qui tombait, jusqu’à son dernier rayon, avant d’allumer la lampe. On entendait des cris d’enfants jouant dans les cours, des pianos assourdis, et la voix de quelque petit marchand du trottoir traînant sa