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abordé effrontément pour convenir du rendez-vous du soir. Que de fois elle s’était plu à le faire tressaillir en lui parlant dans les yeux devant tous. La première stupeur passée, Georges lui savait gré de ces audaces qu’il attribuait à l’excès de la passion. Il se trompait.

Ce qu’elle aurait voulu, sans bien se l’avouer, c’est que Claire les aperçût, qu’elle entr’ouvrit les rideaux de sa croisée, qu’elle eût un soupçon de ce qui se passait. Il lui manquait cela pour être complètement heureuse : l’inquiétude de sa rivale. Mais elle avait beau faire, Claire Fromont ne s’apercevait de rien, et vivait comme Risler dans une sérénité imperturbable.

Il n’y avait que le vieux caissier Sigismond de véritablement inquiet. Et encore ce n’était pas à Sidonie qu’il pensait, lorsque la plume à l’oreille il s’arrêtait une minute dans ses comptes, les yeux fixés à travers son grillage sur la terre détrempée du petit jardin. Il ne pensait qu’à son patron, à M. Chorche, qui prenait maintenant beaucoup d’argent à la caisse pour ses dépenses courantes, et lui embrouillait tous ses livres. Chaque fois c’était un nouveau prétexte. Il venait au guichet d’un petit air léger :

« Avez-vous un peu d’argent, mon bon Planus ? J’ai encore été rincé hier soir à la bouillotte, et je ne voudrais pas envoyer à la Banque pour si peu… »

Sigismond Planus ouvrait sa caisse comme à regret pour prendre la somme demandée, et il se rappelait avec effroi certain jour où M. Georges, qui n’avait alors que vingt ans, était venu avouer à son oncle quelques mille francs de dettes de jeu. Du coup le bonhomme