Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/146

Cette page n’a pas encore été corrigée

la nuit pour aller souper, et les fourrures chaudes dont ils s’enveloppaient quand le coupé faisait le tour du lac dans l’ombre tachée des réverbères.

Les ouvrières ricanaient, chuchotaient : « Mais regardez-la donc cette Tata Bébelle !… En voilà une façon de s’habiller pour sortir… Bien sûr que ce n’est pas pour aller à la messe qu’elle s’attife comme ça… Et dire qu’il n’y a pas trois ans, elle partait à l’atelier tous les matins avec son waterproof et deux sous de marrons dans ses poches pour se tenir chaud aux doigts… Maintenant ça roule carrosse… » Et dans la poussière du talc, au ronflement des poêles toujours rouges hiver et été, plus d’une pauvre fille pensait à ces caprices de la chance transformant tout à coup l’existence d’une femme, et se prenait à rêver d’un avenir vaguement magnifique qui l’attendait peut-être aussi sans qu’elle s’en doutât.

Pour tout le monde, Risler était un mari trompé. À l’impression, deux tireurs, fidèles habitués des Folies-Dramatiques, déclaraient avoir vu plusieurs fois madame Risler à leur théâtre accompagnée d’un citoyen quelconque qui se cachait dans le fond de la loge. Le père Achille, lui aussi, racontait des choses étonnantes… Que Sidonie eût un amant, qu’elle eût même plusieurs amants, personne n’en doutait plus. Seulement on n’avait pas encore songé à Fromont jeune.

Pourtant elle n’apportait aucune prudence dans ses relations avec lui. Au contraire, elle semblait y mettre une sorte d’ostentation ; c’est justement cela peut-être qui les sauvait. Que de fois sur le perron elle l’avait