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Un soir, à Alençon, les abonnés du théâtre lui ont donné une couronne d’or… Ah ! il était bien brillant, dans ce temps-là, et si gai, si heureux de vivre. Ceux qui le voient maintenant ne le connaissent pas, mon pauvre homme, le malheur l’a tellement changé… Eh bien ! je suis sûre qu’il ne faudrait qu’un peu de succès pour nous le rendre jeune et content… Et puis, c’est qu’on gagne de l’argent dans les directions. À Nantes, le directeur avait une voiture. Nous vois-tu avec une voiture ?… Non ! mais nous vois-tu ?… C’est ça qui serait bon pour toi. Tu pourrais sortir, quitter un peu ton fauteuil. Le père nous emmènerait à la campagne. Tu verrais de l’eau, des arbres, toi qui en as tant envie.

– Oh ! des arbres…, disait tout bas en frémissant la pâle petite recluse.

À ce moment, la grande porte de la maison se referma violemment ; et le pas correct de M. Delobelle résonna dans le vestibule. Il y eut un instant d’angoisse, sans parole ni respiration. Les deux femmes n’osaient pas même se regarder, et les grands ciseaux de la maman tremblaient si fort, qu’ils coupaient le laiton tout de travers.

Certes, le pauvre diable venait de recevoir un coup terrible. Ses illusions à bas, l’humiliation d’un refus, les plaisanteries des camarades, la note du café où il avait déjeuné à crédit tout le temps de sa direction et qu’il allait falloir payer, tout cela venait de lui apparaître dans le silence et la nuit des cinq étages à monter. Il avait le cœur navré. Eh bien, la nature du