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magasin ?… Mon Dieu, oui… Et maintenant il était un peu effrayé de son coup de tête, inquiet de savoir comment sa fille le prendrait, d’autant plus que le magasin coûtait bien plus cher que la maison de Montrouge et qu’il y aurait quelques grosses réparations à faire, en entrant. Comme il connaissait de longue date la bonté de son gendre, M. Chèbe avait voulu s’adresser à lui tout d’abord, espérant le mettre dans son jeu et lui laisser la responsabilité de ce coup d’état domestique. Au lieu de Risler, c’était Delobelle qu’il trouvait.

Ils se regardèrent en dessous, d’un œil mauvais, comme deux chiens qui se rencontrent au bord de la même écuelle. Chacun d’eux avait compris ce que l’autre attendait, et ils n’essayèrent pas de se donner le change.

– Mon gendre n’est pas là ? demanda M. Chèbe en lorgnant les paperasses étalées sur la table, et soulignant le mot « mon gendre », pour bien indiquer que Risler était à lui et non pas à un autre.

– Je l’attends, répondit Delobelle en ramassant ses papiers.

Les lèvres pincées, il ajouta d’un air digne, mystérieux, toujours théâtral. – C’est pour quelque chose de très important.

– Et moi aussi… affirma M. Chèbe, dont les trois cheveux se hérissèrent pareils à des lances de porc-épic.

En même temps il vint s’asseoir sur le divan à côté de Delobelle, demanda comme lui une canette et deux verres ; puis, les mains dans les poches, le dos au mur et carré sur sa base, il attendit. Ces deux verres