Page:Daudet - Fromont jeune et Risler aîné, 1874.djvu/115

Cette page n’a pas encore été corrigée

dans Paris, M. Chèbe avait soin d’orner sa boutonnière d’une rose de son parterre.

Tant que le beau temps dura, les bonnes gens ne se lassèrent pas d’admirer les couchers de soleil derrière les fortifications, la longueur des jours, le bon air de la campagne. Quelquefois, le soir, les fenêtres ouvertes, ils chantaient à deux voix : et devant les étoiles du ciel qui s’allumaient en même temps que les lanternes du chemin de fer de ceinture, Ferdinand devenait lyrique… Mais quand la pluie arriva et qu’on ne put plus sortir, quelle tristesse ! Madame Chèbe, parisienne consommée, regrettait les petites rues du Marais, ses courses au marché des Blancs-Manteaux, chez les fournisseurs du quartier.

Tout près de la vitre, à son poste d’observation et de couture, elle regardait le petit jardin humide où les volubilis en graine et les capucines défleuries se détachaient d’elles-mêmes des palissades d’un air d’accablement, la longue ligne droite des talus toujours verts, et un peu plus loin, au coin d’une rue, la station des omnibus de Paris avec tous les points de leur parcours écrits en lettres tentantes sur les parois vernies. Chaque fois qu’un de ces omnibus s’ébranlait pour partir, elle le suivait de l’œil comme un employé de Cayenne ou de Nouméa contemple le paquebot qui retourne en France, faisait le voyage avec lui, savait à quel point il s’arrêterait, à quel autre il tournerait, lourdement en frôlant de ses roues les vitres des boutiques…

Prisonnier. M. Chèbe devint terrible. Il ne pouvait plus jardiner. Le dimanche, les fortifications étaient