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soirée, au milieu de la tente entr’ouverte, un chandelier kabyle en bois de palmier levait au bout de ses branches une flamme immobile qui attirait des insectes de nuit, des frôlements d’ailes peureuses. Accroupis tout autour sur des nattes, nous mangions silencieusement ; c’étaient des moutons entiers, tout ruisselants de beurre, qu’on apportait au bout d’une perche, des pâtisseries au miel, des confitures musquées, et enfin un grand plat de bois où des poulets s’étalaient dans la semoule dorée du kousskouss.

Pendant ce temps-là, la nuit était venue. Sur les collines environnantes, la lune se levait, un petit croissant oriental où s’enfermait une étoile. Un grand feu flambait en plein air devant la tente, entouré de danseurs et de musiciens. Je me souviens d’un nègre gigantesque, tout nu sous une ancienne tunique des régiments de léger, qui bondissait en faisant courir des ombres sur toute la toile… Cette danse de cannibale, ces petits tambours arabes haletant sous la mesure précipitée, les aboiements aigus des chacals qui se répondaient de tous les coins de la plaine ; on se sentait en plein pays sauvage. Cependant, à l’intérieur de la tente, — cet abri des tribus nomades qui ressemble à une voile fixe sur un élément immobile, — l’aga dans ses burnous de laine blanche,