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LES ROIS EN EXIL

— Des garçons ?

— Oui… trois enfants… répétait le vieux bourgadier (car dans le peuple là-bas les filles ne comptent pas pour des enfants).

— Bien… J’en prends bonne note… Monseigneur s’en souviendra le jour venu.

Alors M. le duc avait tiré son calepin, et cra… cra… Ce cra… cra… avec lequel le brave homme exprimait le geste du protecteur écrivant le nom des trois fils Méraut faisait invariablement partie du récit collectionné dans ces annales de famille attendrissantes par l’immuabilité de leurs moindres détails. Désormais, aux temps de chômage, quand la mère s’effraya de voir son mari vieillir, et s’épuiser la petite réserve du ménage, ce cra… cra… répondit à ses inquiétudes timidement exprimées pour l’avenir des enfants :

— Sois donc tranquille, va !… le duc d’Athis a pris bonne note.

Et, devenu subitement ambitieux pour ses fils, le vieux tisserand, qui voyait les aînés déjà partis et enserrés dans l’étroite route paternelle, reporta sur Élisée toutes ses espérances et ses désirs de grandeur. On l’envoya à l’institution Papel, tenue par un de ces réfugiés espagnols qui remplirent les villes du Midi après la capitulation de Marotto. C’était au fond du quartier des Boucheries, dans une maison délabrée, moisie, à l’ombre de la ca-