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CHANT QUATORZIÈME


Ému de l’amour du lieu natal, je recueillis les feuilles éparses, et les rendis à celui dont la voix déjà s’éteignait.

De là nous vînmes là où se sépare la seconde enceinte de la troisième, et où de la justice se voit un horrible art.

Pour bien représenter ces choses nouvelles, je dis que nous arrivâmes dans une plaine qui de soi rejette toute plante. La forêt douloureuse forme autour une guirlande, comme autour de celle-là le triste fossé ! Sur la lisière nous affermîmes nos pieds. Le sable était un sable aride et pressé, pareil à celui que foulèrent les pieds de Caton [1].

O vengeance de Dieu, combien doit te craindre quiconque lit ce que virent mes yeux !

Je vis de grands troupeaux d’ombres nues, qui toutes gémissaient misérablement, et une loi diverse paraissait leur être imposée. Quelques-unes sur le dos gisaient à terre ; d’autres, ramassées en soi, étaient assises, et d’autres marchaient continuellement. Plus nombreuses étaient celles qui marchaient, et moins, celles qui gisaient sous le tourment : mais leur langue à la plainte était plus déliée.

Partout, sur le sable, lentement pleuvaient de larges flocons de feu, comme, d’un temps calme, la neige sur les Alpes. Telles les mèches de flamme qu’Alexandre vit tomber sur son armée dans les chaudes contrées de l’Inde, ce pourquoi par ses troupes il fit fouler le sol, parce que mieux s’éteignait la vapeur lorsqu’elle était seule [2] ; telle

  1. Lorsque, à la tête des débris de l’armée de Pompée, il traversa la Libye pour se réunir à Juba, roi de Numidie.
  2. A mesure que ces mèches enflammées tombaient, Alexandre les faisait fouler aux pieds par ses soldats, parce qu’on les éteignait plus facilement lorsqu’elles étaient seules, c’est-à-dire avant que d’autres mèches ne fussent venues s’y ajouter. Ce fait, que ne raconte aucun historien, se trouve dans la lettre apocryphe d’Alexandre à Aristote. Il y est dit, non pas « qu’il fit fouler le sol par ses soldats, » mais qu’il opposa au feu leurs vêtements. Il pourrait être question du simoun, dont on atténuait les effets en s’enveloppant le corps et la tête.