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l’Europe se revêtir ; non loin des rivages que frappent les ondes, derrière lesquelles, dans sa longue fuite, le Soleil à tout homme se cache quelquefois [1], sise est l’heureuse Callaroga, sous la protection du grand bouclier où le lion est subjugué et subjugue [2]. Là naquit l’amant passionné de la foi chrétienne, le saint athlète, doux aux siens, et dur aux ennemis ; et dès que fut créé son esprit, il fut rempli d’une si vive vertu, que, lui encore dans le sein de sa mère, elle la fit prophétesse [3]. Lorsque le mariage fut accompli entre lui et la foi, sur les fonts sacrés, où ils se dotèrent d’un mutuel salut [4], la Dame qui pour lui donna le consentement [5] vit dans le sommeil le merveilleux fruit qui devait sortir de lui et de ses héritiers : et afin qu’auparavant fût ce qu’il était, d’ici vint un esprit pour le nommer du possessif de celui à qui tout entier il était [6]. Dominique il fut appelé ; et de lui je parle comme du cultivateur que le Christ élut pour l’aider à son jardin. Bien parut-il envoyé et serviteur du Christ, le premier amour qui en lui se manifesta ayant eu pour objet le premier conseil que le Christ donna. Souvent, silencieux et veillant, à terre le trouva sa nourrice, comme s’il eût dit : Je suis venu pour cela. O vraiment Félice [7] son père ! O vraiment Giovanna [8] sa mère ! si le nom a le sens

  1. Derrière lesquelles le Soleil, dans sa longue fuite, dans son cours lointain, éclaire des lieux que nul homme n’habite. — On croyait, au temps de Dante, que notre hémisphère seul était habité.
  2. Callaroga dépendait des rois de Castille, dont les armoiries étaient écartelées de deux châteaux et de deux lions, l’un au-dessus, l’autre au-dessous d’un des châteaux ; et c’est ce que signifie le lion subjugué et qui subjugue.
  3. Elle songea qu’elle mettait au monde un chien noir et blanc, ayant dans la bouche un flambeau allumé, double symbole de l’habit de l’Ordre et du zèle ardent de son fondateur.
  4. Saint Dominique promettant de combattre pour le salut de la Foi, et la Foi promettant à Dominique l’éternel salut.
  5. Sa marraine. Elle vit en songe une étoile sur le front de Dominique, et une autre sur sa nuque, lesquelles illuminaient l’Orient et l’Occident.
  6. Pour le nommer Domenico, qui est le nom possessif de Dominus, c’est-à-dire de Dieu, à qui il appartenait tout entier.
  7. En latin Félix, heureux.
  8. Joanna, en hébreu, signifie gracieuse, remplie de grâce. Félix et Giovanna étaient les noms du père et de la mère de saint Dominique.