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veuve que tant j’aimai, qu’à bien faire elle est plus seule, car la Barbagia [1] de Sardaigne est, dans ses femmes beaucoup plus pudique que la Barbagia où je la laissai. O doux frère, que veux-tu que je dise ? Je vois venir le temps, peu éloigné de l’heure présente, où, par édit, il sera défendu aux femmes effrontées de Florence de s’en aller montrant la gorge et la poitrine. Quelles furent jamais les femmes barbares, quelles les Sarrazines, à qui fût besoin, pour qu’elles allassent couvertes, de disciplines spirituelles ou autres ? Mais si les éhontées savent bien ce que prochainement le ciel leur prépare, déjà pour hurler leurs bouches seraient ouvertes. Que si ne me trompe pas ma prévoyance, tristes elles seront, avant que se revêtent de duvet les joues de celui que maintenant console la Nanna [2]. Ah ! frère, ne te cèle pas plus longtemps à moi ; vois que, non moi seul, mais toute cette gent regarde là où tu voiles le soleil. ». Et moi à lui : — Si tu rappelles en ta mémoire quel tu fus avec moi, et quel avec toi je fus, pesant encore nous en sera le souvenir présent. Celui qui va devant moi me retira de cette vie, avant-hier, lorsque ronde apparut la sœur de celui-là [3] : (et je montrai le soleil). Par la profonde nuit des vrais morts il m’a guidé, avec ce vrai corps qui le suit. De là son secours m’a conduit en haut, montant autour de la montagne qui vous redresse, vous que le monde a déformés.

Il dit qu’il m’accompagnera jusque-là où je trouverai Béatrice : là il faudra que de lui je me sépare. Virgile est celui-ci, qui ainsi m’a dit (Et je l’indiquai du doigt.) Cet autre est l’ombre pour qui naguères se sont ébranlés tous les rochers de votre royaume, qui de soi l’a repoussée.

  1. Canton de Sardaigne où les femmes avaient, dit-on, une conduite très déréglée.
  2. Chant avec lequel, à Florence, les nourrices apaisent les cris des enfants.
  3. Lorsque la lune était en son plein.