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au poil de l’horrible ver qui perce le monde [1]. Tu as été là aussi longtemps que j’ai descendu : quand je me retournai, tu dépassas le point où tend tout ce qui pèse. Et maintenant tu es arrivé a l’hémisphère opposé à celui qui recouvre le vaste aride [2], et au milieu duquel consommé [3] fut l’homme qui naquit et vécut sans péché. Tu as les pieds sur la petite sphère qui forme l’autre face de la Giudecca [4]. Ici il est matin, quand là il est soir : et celui dont le poil nous a servi de degrés, est dans la position où il était d’abord. De ce côté il tomba du ciel, et la terre qui auparavant surgissait, par l’effroi qu’elle eut de lui, se fit de la mer un voile, et se remontra dans notre hémisphère [5] ; et peut-être que pour le fuir, elle laissa vide l’espace qui apparaît là, et en haut se retira [6]. »

Là en bas [7] est un lieu éloigné de Belzébub autant que la tombe s’étend [8] : l’indique, non la vue, mais le bruit d’un

  1. Qui en traverse le centre.
  2. Expression empruntée à la Genèse, où la « terre sèche, » c’est-à-dire non couverte par les eaux, est appelée l’aride.
  3. Allusion au consommatum est de l’Évangile.
  4. Dante appelle Giudecca la quatrième et derrière sphère du neuvième Cercle où est Judas, et qui s’étend, des glaces du Cocyte, jusqu’au fond du puits. La partie de l’autre hémisphère correspondante à cette enceinte est la petite sphère qui forme l’autre face de la Giudecca. Il est clair qu’après avoir dépassé le centre, c’est la première que Virgile et Dante aient dû rencontrer.
  5. La terre, qui originairement s’élevait au-dessus des eaux, s’enfonça dessous, et s’en fit comme un voile quand Lucifer tomba, et en même temps elle se remontra, elle s’éleva dans l’autre hémisphère.
  6. Pour former la montagne que, dans l’autre Cantique, on verra être celle du Purgatoire.
  7. Dante adresse ici la parole au lecteur.
  8. Ce passage n’est pas sans difficulté. Selon les commentateurs le sens serait : éloigné de Belzébub de toute la profondeur de l’Enfer, et alors, pour eux, le lieu dont parle Dante est comme ils l’expliquent, la superficie de l’hémisphère opposé au nôtre. Mais, 1° Laggiù semble désigner le lieu où Virgile et Dante étaient en ce moment, c’est-à-dire la petite sphère qui forme l’autre face de la Giudecca ; 2° la surface de la terre est partout visible, et ainsi non per vista noto ne se comprendrait pas ; 3° d’où et comment le ruisseau descendrait-il à la surface de la terre ? Nous pensons que, soit que le mot tombe signifie, ce qui nous semble mieux d’accord avec le contexte, tout l’Enfer, ou seulement le fond du cône où Lucifer est plongé dans la place, le sens est qu’au delà de « cette tombe, » et à partir du point jusqu’où elle s’étend, c’est-à-dire où elle se termine, est un lieu obscur, puisqu’il est situe prés du centre de la terre où le jour ne pénètre point, et que dans ce lieu descend un petit ruisseau, dont le bruit indique à Virgile et à Dante la route qu’ils doivent suivre dans l’obscurité, pour monter jusque-là où ils reverront la lumière.