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doit conclure, que le Peuple eſt heureux.

Si l’intention des Auteurs étoit de faire oublier ſes Chefs au Peuple : ſi ces Chefs ſecondoient cette intention, pour faire oublier leurs manoeuvres, ils ſeroient les uns & les autres bien mal-adroits, puisque tous nos Poëmes ne pourroient qu’opérer préciſément le contraire. Toutes nos Tragédies & nos Comédies s’élèvent contre la Tyranie & contre tous les vices qui tendent à l’appreſſion, tel que le zele aveugle des Fanatiques, l’hipocriſie des Tartuffes, l’avarice des Financiers, la rapacité de leurs ſous ordres, les friponneries des ſuppôts ſubalternes de la Juſtice, tout cela n’eſt pas propre, je crois, à aveugler le Peuple & à lui faire oublier ſes Chefs, s’il a lieu de s’en plaindre : ne diroit on pas au contraire qu’on ait pris à tâche d’éclairer les Chefs ſur leur devoir, & le Peuple ſur ſes droits ? La manière de repréſenter les hommes au Théatre n’eſt elle pas bien capable de faire diſtinguer au Peuple les Titus, les Aureles, les Antonin, les Henri IV. des Néron, des Calligula, des Maximien, & des Borgia ? Maintenir & perfectionner le goût quand l’honnêteté eſt perdue, c’eſt rendre encore un ſervice. Le goût peut ſubſiſter très bien avec l’honnêteté & ne rempliroit pas ſa place ; mais en ſuppoſant l’honnêteté perdue, c’eſt faire encore un très grand bien que de nous conſerver le goût.

Si le ſpectacle couvroit d’un vernis de procedés la laideur du Vice, ce ſeroit un très