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qu'eux et leurs ministres souffrent, quoique bien intentionnés, dans cette grande préférence que ceux qui se couvrent de leur autorité donnent à l'argent sur les autres denrées ; bien que l'un ou 1'autre soit indifférent au souverain, comme il l'est pareillement à tout ce qui est à leur solde, et surtout à leurs gens de guerre, qui n'ont pas sitôt reçu leur montre, qu'ils la convertissent à leur nourriture et aux besoins de la vie, en sorte qu'il leur serait égal de les recevoir immédiatement sans le ministère d'argent, comme cela se pratique en beaucoup d'endroits.

On éclaircira et on traitera davantage de cette vérité dans un chapitre particulier, où 1'on montrera qu'il y a tel prince qui ne procure pas une pinte de vin à aucun de ses soldats, qu'on n'en ait anéanti jusqu'à vingt et même cent qu'il aurait reçues, si on n'avait pas immolé cette quantité à la volonté déterminée d'avoir de l'argent à quelque prix que ce fût, et non du vin, et ainsi du reste.

Ce sont donc ceux qui surprennent leur autorité, qui inspirent que l'argent qu'ils font payer au prince n'est considérable que par sa quantité, et nullement par la manière dont il est levé sur les peuples. Et bien que les souverains ne le reçoivent que pour fournir le moyen à ceux à qui ils le distribuent de se procurer les besoins de la vie, ils osent prétendre qu'il n'est d'aucune considération que ces médiateurs aient abîmé ou anéanti pour vingt fois davantage de ces mêmes besoins, en faisant ce fatal recouvrement, que le maître ou ceux qui sont à sa solde n'en pourront avoir avec l'argent qui en provient, et qui leur est distribué.

Voilà un crime effroyable de ce métal, qui, bien loin d'être poursuivi par les prévôts comme les voleurs de grands chemins, est tous les jours couronné de lauriers, quoiqu'il ne fasse pas moins d'horreur au peuple, et que les maux qu'il cause excèdent tous ceux que l'on pourrait recevoir des plus fameux brigands, qui auraient une pleine liberté d'exercer les dernières violences.

Des contrées entières autrefois en valeur, présentement incultes des fruits les plus précieux, entièrement à l'abandon sans en pouvoir trouver les frais de la culture, et surtout les liqueurs, pendant que les pays voisins ne boivent que de l'eau, et les achètent un prix exorbitant pour les extrêmes nécessités, ce qui ne va pas à la centième partie de la consommation possible, et leur fait souffrir le même sort pour d'autres denrées principales et singulières, qu'ils donneraient en contre-échange ; toutes ces choses, dis-je, qui sont autant de témoins vivants, quoique muets, montrent que ce n'est point exagération que cette préférence de crime et de désordre que l'on donne à ces pourvoyeurs d'argent sur tous les autres genres de violences et de vexations.

En effet, si les tributs s'exigeaient en essence sur chaque fruit et chaque denrée, comme on a fait uniquement très-longtemps, et qu'il se pratique même en quantité d'endroits, puisqu'enfin toute réception d'impôts n'est que pour parvenir à ce recouvrement de denrées, et que ce cruel médiateur, savoir l'argent, en abîme une si grande quantité par son fatal ministère ; si, dis-je, cette exigence se faisait réellement, l'horreur de pareils effets aurait absolument empêché leur introduction, ou au moins l'aurait fait rejeter au plus vite à la première expérience. — Aurait-on pu, de sens rassis, mettre une ordonnance sur le papier, qui portât que quiconque recueillera sur sa terre trente setiers de blé, en paiera quarante pour l'impôt ; et un autre, dont la levée va à deux cents, ne contribuera que de quatre, et même moins, suivant son crédit ? — Comme une pareille demande, ainsi que l'exécution, aurait une vue et un visage effroyable, il les a fallu masquer, et c'est ce que l'argent fait merveilleusement bien ; il dérobe toute l'horreur de pareille mesure aux personnes élevées qui pourraient y donner ordre, parce que n'ayant