Page:Dablon - Le Verger, 1943.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
30
LE VERGER

de la jeune fille ; elle était belle, les traits réguliers et délicats, les yeux châtains comme sa sœur, mais brillants et inaccessibles.

— Tu as changé, Estelle, plus que Louise.

Jacques eut l’impression d’avoir dit une sottise. Estelle ne prisait guère les comparaisons que l’on ne manquait jamais d’établir entre sa sœur et elle.

— Tu as… Tu as… tu n’es plus la petite fille qui poussait les billes de Maurice…

Devant le sourire de Louise et l’air défiant d’Estelle, Jacques éprouvait un afflux de sang au visage.

— Louise et Estelle n’ont jamais vu le feu de la Saint-Jean, dit Maurice pour tirer son ami de la confusion. Elles arrivent à l’île juste à point pour admirer…

— Maurice fait l’esthète, ce n’est rien de nouveau. Les artistes, ce sont les gamins, regardez-les !

On profitait des derniers instants pour ligoter l’amas de branchages. L’essaim des marmots grouillait autour de la ruche fauve dans un bourdonnement d’abeilles qui entrent la cueillette avant la nuit.

Jacques se sentit tiré par le bras, C’était André :

— On a oublié de placer l’étoupe.

— J’y vais.

Jacques plongea dans la brune ; son cœur en trépidation quêtait la solitude. Il était mécontent de ses réponses et de la partie de lui-même qu’il ne maîtrisait plus. Il écoutait en lui un bruit de débâcle ; les images de la rue Charlevoix, lourdes d’impressions nouvelles, n’obéissaient plus au rythme sage qu’il leur avait connu. Il vaquait distraitement à sa besogne ; André