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LE VERGER

vie comme des livres. Vraiment l’égoïsme des hommes, elle ne croyait pas en faire une expérience si hâtive !

L’ironie froide est la seule réponse dont Louise soit capable. Pour avoir eu le dessous bien des fois avec Estelle, Louise sait que l’arme demande une main sûre. Elle se tait donc et attend l’accalmie. À mesure que la violence se retire de ses yeux, elle découvre un nouveau Jacques, un grand enfant, le front sur sa tasse, tournant la cuillère à thé entre ses doigts blêmes, et qui articule péniblement :

— Je te demande pardon, Louise, je te demande pardon…

Elle ne céderait pas à la pitié quoiqu’elle eût été injuste envers lui ; impuissant certes, maladroit, mais sincère, comme en ce moment, tel avait été Jacques. Jacques faisait la moue d’un mioche au seuil des larmes et, dans sa détresse, il n’osait pas lever les cils. Ne l’aiderait-elle pas au lieu de se hérisser, comme si elle pouvait changer le cours de la grâce ? Il tenait les yeux au fond de la tasse qu’il n’achevait plus de vider. Il n’avait pas besoin de violence et encore moins d’amertume ; il attendait la douceur d’une main posée sur son bras, en signe de sympathie et d’affection. Il ne palliait pas ses torts, et le pli amer de sa lèvre disait assez qu’il en savait autant que Louise sur ses propres mécomptes.

La tendresse purifiait le cœur de Louise. Au recul de l’esprit mauvais, la jeune fille comprit que son amour ne mourrait pas. Elle avait été sincère elle aussi, et bien plus qu’elle pensait, quand elle avait rencontré les couventines, rue du Parloir, et qu’elle avait défié l’épreuve. Qu’était cet amour que la souf-