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LE VERGER

qui ne se réaliserait pas ; Jacques avait déjà parlé de ses projets à Maurice, des projets concrets et temporels. Un amour qui vivait d’un passé commun et qui ennoblissait le présent et les visions d’avenir, était une vocation aussi, et qui pouvait s’y soustraire ? La lettre du jeune homme, quelques jours auparavant, faisait allusion à Pierre Morand, le moinillon bénédictin revenu à Québec, mais Louise avait rejeté la pensée que la lettre suggérait. À supposer que Jacques eût brusquement opté pour une voie nouvelle, rien n’exigeait qu’il s’en ouvrît tout de suite ; il attendrait juin.

Ces pensées qui l’avaient d’abord apaisée, ébranlaient son assurance ; Louise ne cédait pas néanmoins. Son orgueil n’accepterait jamais qu’elle n’eût été qu’une comparse entre le jeune homme et Dieu. Jacques dit avec précaution :

— Je ne sais pas si nous reverrons ces lieux comme nous les avons vus l’an passé.

Elle tressaillit et le regarda.

— L’été prochain ?

— L’été prochain, je voyagerai avec Maurice et Noël…

Il allait ajouter : « Je me détacherai d’un monde qui s’est montré débonnaire à mon endroit » ; les mots s’emmêlèrent dans un balbutiement. Jacques sentit qu’il était perdu.

Le traversier de Lévis, en plein baissant, décrivait un arc vers l’île ; les hauts pays se vidaient de leurs eaux. Un cargo, l’hélice immobilisée pour l’échange des pilotes, entraînait sans tracer de sillage, le canot-automobile agriffé à l’échelle de coupée. Louise le