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LE VERGER

à l’étude, en récréation, en classe, sous les yeux du Père Dreux et à la barbe de Monsieur Legris. Qu’avait-elle donc de si extraordinaire, cette lettre qui lui gondolait entre les doigts ? Elle n’avait rien. Elle était une lettre, une vraie. À quelles sources la jeune fille avait-elle puisé l’allégresse et la fraîcheur qui gonflaient et faisaient éclater chacune de ses phrases ? La vraie Louise, celle qu’il n’avait jamais connue, celle dont il s’était peint un portrait, apparaissait aujourd’hui plus aimable qu’il ne l’avait rêvée. Elle proposait un mystère neuf à la sagacité de Jacques et donnait les arrhes d’une ascension en pleine lumière.

Comme leur amour avait crû aux moments qu’il le croyait assoupi ! Le bonheur, ne le tenait-il pas enfin ? La vie chrétienne n’était pas grillée dans les cloîtres. Jésus-Christ était à cette époque entré dans la vie de Jacques et avait comblé le vide d’un amour trop humain, en lui proposant un modèle et un aliment. Il serait peut-être donné à Jacques de vivre dans le monde comme n’y vivant pas et, sur la pierre du sacrement signée d’une croix, d’édifier un foyer où l’on aimerait comme Jésus aime l’Église. Le Père Vincent ne lui avait-il pas donné à lire la correspondance de Dupouey ? Jacques avait douté de Louise, et, par une seule lettre, elle manifestait une ferveur et une jeunesse dont il n’était pas lui-même capable. Les exigences de la vie chrétienne se conciliaient avec le bonheur de la terre, avec un bonheur qui soufflait du large les parfums violents et sains de la mer, et qui invitait au départ. Il ne chasserait pas de sitôt un rêve où ses aspirations jusque-là confuses trouvaient leur accomplissement ; elles montaient unani-