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il va sans dire, multipliait les recommandations au sujet d’André.

Un soir, au souper, André fit dire à Jacques par le Père Préfet de le rencontrer après le repas. Tout en avalant les dernières prunes de ses confitures, Jacques se pencha du côté des petits. Les traits tirés, André clignotait ; il oubliait de manger et lançait du bout de son couteau des boulettes de pain à son vis-à-vis. En tout autre temps, le spectacle de cette misère aurait retourné Jacques : André, son petit frère, était la proie du pensionnat. Mais ce soir, Jacques tancera André d’importance.

Ils sont face à face dans le corridor du réfectoire, et André n’a pas encore glissé un mot. Le gamin prend son mal en patience ; il approuve Jacques et encense de la tête comme un brave petit âne. Il a hâte que cette scène ridicule finisse ; des élèves passent par groupes, reluquent, et André, pour se donner une contenance, ébauche un sourire. Jacques interrompt la semonce :

— Ah ! tu trouves cela drôle, ce que je te dis. Tu pourras chercher quelqu’un pour t’aider. Je ne suis pas pour perdre mon temps jusqu’à ce que tu aies atteint l’âge de raison.

Et il lui tourne le dos. Il fuit. Il va passer la porte lorsqu’il jette un coup d’œil derrière lui. André s’est réfugié dans un coin ; les cheveux en désordre, il porte une chemise neuve dont le col évasé laisse voir la chair hâve du cou ; de ses deux poings fourrés au creux de ses yeux, il essaie de rencogner les grosses larmes qui brillent entre ses doigts. Il n’y a plus d’élèves, et le Père Préfet, le courrier sous le bras, sort du réfec-