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à la partition et à la silhouette expressive du maître. Cette soumission aux apparences ouvrait des portes sur l’invisible ; les musiciens sortis de la vallée respiraient déjà l’atmosphère sans souillure et sans poids des longues routes au flanc des monts.

Le parterre sombre dans la ténèbre et le recueillement. Tels les premiers vers d’une tragédie, les rythmes de l’introduction heurtent à coups pressés les battants de la salle trop étroite ; ils s’apaisent enfin et la foule respire sans bruit comme un enfant au seuil du repos. Jacques n’ose tourner la tête ; il craint de troubler les instants décisifs. Ainsi aux temps anciens, Schéhérazade avait peuplé de musique la nuit du désert et insinué au cœur du despote la puissance rémissoire du silence ; une à une s’étaient dissoutes les tyrannies.

La libération des maléfices ne s’arrête pas à mi-chemin. LeBlanc, immobile, effleure du bout de son archet le fluide sonore. Et, quand l’orchestre s’incline pour cueillir le soliste, Jacques presse le bras de sa mère ; ses appréhensions s’envolent et il sait de science certaine que les exécutants ont partie liée et que ni le compositeur ni les interprètes ne seront infidèles l’un à l’autre.

Le violon avait repris le thème exposé par le hautbois, la clarinette et le basson ; il réexposait, développait, amplifiait. Était-ce une confidence que la plainte traduite avec tant de précision par la franchise du soliste ? Les musiciens se tenaient en retrait et la discrétion de leur jeu invitait le narrateur à la confiance. On écoutait, sans les mots qui trahissent, un échange d’aveux. La compréhension, si profonde