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LE VERGER

sentiers de portage, pour admirer la souplesse et la résistance de ses longs muscles. Le visage mince, aux méplats cuivrés, le nez légèrement infléchi sur des lèvres d’un tissu serré, Jacques avait les yeux noirs et perçants, de ces yeux noirs traversés de grands éclats quand on les regarde sous un certain angle. Maurice, qui aimait disserter sur l’hérédité, disait : « Tu trouverais des ascendants parmi les Hurons qui ont cabané à l’anse du Fort. » Jacques pour protester, cambrait la tête et riait en montrant une denture saine, éclatante.

Jacques tenait dans ses mains sa tête où repassaient les images ternes d’une soirée perdue. Il rompit, fit le signe de la croix et, après un coup d’œil sur André, éteignit la lampe. Il ne pouvait supporter le frémissement joyeux de ces paupières.



Le temps n’était pas si loin où Jacques passait des journées entières dans l’ignorance de lui-même, content de retrouver, après le baiser de sa mère et le bonsoir des siens, le grand album illustré parcouru plus de cent fois avant le sommeil et où l’on contait, en grosses lettres, les gestes héroïques du peuple français. Même lorsque le gamin était recru, il ouvrait les pages coloriées ; bientôt les lignes s’emmêlaient et Jacques piquait du nez sur les soldats de Fontenoy ; il s’endormait dans une splendeur d’épopée. Depuis, il entendait les questions d’André penché à son tour sur l’album (André possède des flottes de questions) : Pourquoi les Francs portaient-ils les cheveux longs ?