Page:D’Esparbès - Le Roi (1910).djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
315
LE ROI

l’avait livré pendant la bataille, privé d’ordres et de secours, aux attaques combinées de ses carabins et de ses gens de pied navarrais. L’Europe admira ce plan qui avait si bien réussi.

— Vous voilà réputé pour l’Annibal de votre siècle, dit Biron :

Le roi qui regardait le camp sourit avec amertume.

— Les fatigues de la guerre dont les hommes ne voient point le but sont préjudiciables aux princes, dit-il lentement ; l’armée pense qu’elle est victorieuse et voudrait revoir ses foyers. Or, il me faut faire le siège de Paris où les Espagnols tiennent garnison.

— À la place de Votre Majesté, gronda le rude maréchal, me rappelant que l’humanité de Scipion causa la perte de ses troupes, je ferais abattre quelques têtes, les autres se sentant branlantes ne diraient plus mot.

— Déplorable onguent ! Je vous assure bien, dit le roi, que je ne suivrai pas l’ordonnance ; on se doit, au lieu de sévir, attirer le cœur de chaque homme : il ne pousse pas de fruits sur la haine.

Au pas de la promenade, il entra dans le camp, sans faste, en jaquette grise, parlant à chacun des dangers qu’il avait courus et vidant les pièces de sa poche entre les mains des blessés qu’il nommait en riant « chevaliers de Sainte-Souffrette ». Sa gaieté ranimait un instant les hommes, mais quand il était parti les fronts retombaient.

Il s’éloigna, songeur, plus las qu’il n’avait été