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MÉFIER (SE), DÉFIER (SE).

Ces deux mots marquent en général le défaut de confiance en quelqu’un ou en quelque chose, avec les différences suivantes.

1°. Se méfier exprime un sentiment plus faible que se défier. Exemple : cet homme ne me paraît pas franc, je m’en méfie ; cet autre est un fourbe avéré, je m’en défie.

2°. Se méfier marque une disposition passagère et qui pourra cesser ; se défier est une disposition habituelle et constante. Exemple : Il faut se méfier de ceux qu’on ne connaît pas encore, et se défier de ceux dont on a été une fois trompé.

3°. Se méfier appartient plus au sentiment dont on est affecté actuellement ; se défier tient plus au caractère. Exemple : Il est presque également dangereux dans la société de n’être jamais méfiant, et d’avoir le caractère défiant ; de ne se méfier de personne, et de se défier de tout le monde.

4°. On se méfie des choses qu’on croit ; on se défie des choses qu’on ne croit pas. Je me méfie que cet homme est un fripon, et je me défie de la vertu qu’il affecte. Je me méfie qu’un tel dit du mal de moi ; mais quand il en dirait du bien, je me défierais de ses louanges.

5°. On se méfie des défauts, on se défie des vices. Exemple : Il faut se méfier de la légèreté des hommes, et se défier de leur perfidie.

6°. On se méfie des qualités de l’esprit, on se défie de celles du cœur. Exemple : Je me méfie de la capacité de mon intendant, et je me défie de sa probité.

7°. On se méfie dans les autres d’une bonne qualité qui est réellement en eux, mais dont on n’attend pas l’effet qu’elle semble promettre ; on se défie d’une bonne qualité qui n’est qu’apparente. Exemple : Un général d’armée dira : je n’ai point donné de bataille cette campagne, parce que je me méfiais de l’ardeur que mes troupes témoignaient, et qui n’aurait pas duré long-temps, et que je me défiais de la bonne volonté apparente de ceux qui devaient exécuter mes ordres.

8°. Au contraire, quand il s’agit de soi-même, on se méfie d’une mauvaise qualité qu’on a, on se défie d’une bonne qualité dont on n’attend pas tout l’effet qu’elle semble promettre. Exemple : Il faut se méfier de sa faiblesse, et se défier quelquefois de ses forces même.

9°. La méfiance suppose qu’on fait peu de cas de celui qui en est l’objet ; la défiance suppose quelquefois de l’estime. Exemple ? Un général habile doit quelquefois se méfier de l’habileté de ses