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pas d’une manière assez nette le danger que les citoyens couraient pour eux-mêmes, s’ils eussent voulu rester libres comme leurs pères.

(10). Tous, les yeux sur le prince, attendaient ses ordres. Le texte dit, jussa principis aspectare. Quelques uns lisent exspectare, et c’est d’après cette leçon que j’avais simplement traduit, dans les éditions précédentes, tous attendaient les ordres du prince. Mais le mot aspectare offrant une image très-énergique de la servitude des Romains, doit être préféré, comme plus digne de Tacite.

(11). Ils disaient qu’Agrippa, etc. J’ai mis ces discours en style indirect, et c’est ainsi que j’ai cru devoir rendre tous les endroits où l’historien fait parler le public. Cette forme, outre qu’elle est plus conforme à l’original, me paraît aussi plus naturelle et moins opposée à la vraisemblance. On ne reproche que trop aux anciens d’avoir multiplié, dans leurs histoires, les harangues directes : que n’aurait-on pas dit s’ils en avaient placé plusieurs dans la bouche de tout un peuple ? Je n’ignore pas néanmoins que, même dans les cas où Tacite raconte les jugemens du public, plusieurs traducteurs, apparemment pour éviter la répétition des que (inconvénient, ce me semble, peu considérable), ont employé le style direct ; c’est à d’autre que moi à les juger. Je me contenterai de dire qu’il est au moins quelques uns d’eux qui me paraissent avoir usé avec excès de la liberté qu’ils ont prise à cet égard.

(12). Qu’à la tyrannie du fils, la mère joindrait celle de son sexe ; accedere matrem muliebri impotentiâ ; le mot impotentiâ désigne ici le caractère impérieux et violent de Livie, comme on le voit encore au commencement du cinquième livre des Annales : mater impotens, uxor facilis ; mère impérieuse, épouse complaisante. Cependant, comme impotentiâ signifie aussi faiblesse, impuissance, le sens de ce passage pourrait être encore, que Livie voudrait régner avec son fils, malgré la faiblesse et l’incapacité de son sexe ; mais le premier sens paraît bien préférable.

Il est assez singulier que le mot impotentia désigne à la fois tyrannie et faiblesse ; cependant on peut rendre raison de cette espèce de bizarrerie, en observant que ce mot, qui signifie à la lettre impuissance, peut désigner également et l’impuissance d’agir, c’est-à-dire la faiblesse, et l’impuissance de dompter ses passions, de réprimer sa violence, qui est un des caractères et une des sources de la tyrannie.

(13). Et de deux jeunes gens qui d’abord fouleraient l’État et le déchireraient un jour. Tacite veut parler ici de Drusus fils de Tibère, et de Germanicus son fils adoptif ; et de la crainte qu’on avait que ces deux jeunes princes, après avoir foulé l’État sous le règne de leur père, ne le déchirassent pour régner après sa mort. Peut-être le mot distrahant serait-il plus exactement traduit par le mot démembrer,