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Tout nous anime à la victoire. Les Romains n’ont point ici de femmes qui les encouragent, de parens qui leur reprocheront la fuite ; la plupart sont sans patrie, ou en ont une autre. En petit nombre, tremblans, ignorant le pays, ne voyant qu’un ciel, une terre, une mer inconnus, les dieux les ont enfermés et liés ici pour nous les livrer.

Ne craignez pas ce vain éclat d’or et d’argent, qui ne peut ni blesser ni défendre. Dans l’armée ennemie même nous retrouverons nos troupes. Les Bretons reconnaîtront leurs intérêts, les Gaulois se rappelleront leur ancienne liberté, les Germains déserteront. Dès ce moment plus de crainte ; leurs forteresses sont dégarnies, leurs colonies pleines de vieillards, leurs villes municipales toujours remuantes sous ces maîtres injustes et mal obéis. Ici seulement ils ont un général et une armée (174) ; ailleurs des peuples écrasés d’impôts, et des esclaves opprimés. Ce champ de bataille va décider si ces tyrans seront éternels, ou enfin punis ; ainsi, en marchant au combat, pensez à vos ancêtres et à vos descendans.

Discours d’Agricola à son armée.

Il y a huit ans, chers compagnons, que le génie invincible du peuple romain a dompté la Bretagne par votre courage et par vos armes. Tant de campagnes, tant de combats exigeaient et la vigueur contre l’ennemi, et une patience qui bravât la nature même ; le soldat et le chef ont été contens l’un de l’autre. Arrivés vous et moi beaucoup plus loin que les autres armées et les autres généraux, nous voici enfin, non sur de vaines assurances, mais réellement, aux confins de la Bretagne, dans notre camp et sous les armes ; elle est à la fois découverte et subjuguée.

Durant ces marches, que retardaient sans cesse les montagnes, les marais, les fleuves, j’entendais crier les plus braves : Quand verrons-nous l’ennemi ? quand combattrons-nous ? Chassé de sa lanière, il vient s’offrir à votre valeur et à vos vœux ; vainqueurs, tout vous sera facile, vaincus, tout vous sera contraire. Plus il a été glorieux pour vous d’avoir franchi tant de chemins, pénétré tant de forêts, traversé tant d’inondations, plus la fuite rendrait dangereux ces obstacles si heureusement surmontés. Nous n’avons, comme l’ennemi, ni la connaissance des lieux, ni l’abondance des vivres ; nos bras et nos armes, voilà notre espoir. Je suis convaincu depuis long-temps qu’une lâche retraite n’est sûre ni pour le général ni pour l’armée. Préférons donc une mort honorable à une vie honteuse. Ici sont attachés notre salut et notre