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DE L’ENCYCLOPÉDIE.

tout excès est injuste. Jouissons plutôt avec reconnaissance du travail de ces hommes laborieux. Pour nous mettre à portée d’extraire des ouvrages des anciens tout ce qui pouvait nous être utile, il a fallu qu’ils en tirassent aussi ce qui ne l’était pas ; on ne saurait tirer l’or d’une mine sans en faire sortir en même temps beaucoup de matières viles ou moins précieuses ; ils auraient fait comme nous la séparation, s’ils étaient venus plus tard. L’érudition était donc nécessaire pour nous conduire aux belles-lettres.

En effet, il ne fallut pas se livrer long-temps à la lecture des anciens, pour se convaincre que dans ces ouvrages même où l’on ne cherchait que des faits ou des mots, il y avait mieux à apprendre. On aperçut bientôt les beautés que leurs auteurs y avaient répandues ; car si les hommes, comme nous l’avons dit plus haut, ont besoin d’être avertis du vrai, en récompense ils n’ont besoin que de l’être. L’admiration qu’on avait eue jusqu’alors pour les anciens ne pouvait être plus vive ; mais elle commença à devenir plus juste : cependant elle était encore bien loin d’être raisonnable. On crut qu’on ne pouvait les imiter qu’en les copiant servilement, et qu’il n’était possible de bien dire que dans leur langue. On ne pensait pas que l’étude des mots est une espèce d’inconvénient passager, nécessaire pour faciliter l’étude des choses, mais qu’elle devient un mal réel, quand elle retarde cette étude ; qu’ainsi on aurait du se borner à se rendre familiers les auteurs grecs et romains, pour profiter de ce qu’ils avaient pensé de meilleur ; et que le travail auquel il fallait se livrer pour écrire leur langue, était autant de perdu pour l’avancement de la raison. On ne voyait pas d’ailleurs, que s’il y a dans les anciens un grand nombre de beautés de style perdues pour nous, il doit y avoir aussi, par la même raison, bien des défauts qui échappent, et que l’on court risque de copier comme des beautés ; qu’enfin tout ce qu’on pourrait espérer par l’usage servile de la langue des anciens, ce serait de se faire un style bizarrement assorti d’une infinité de styles différens, très-correct et admirable même pour nos modernes, mais que Cicéron ou Virgile auraient trouvé ridicule. C’est ainsi que nous ririons d’un ouvrage t’crit en notre langue, et dans lequel l’auteur aurait rassemblé des phrases de Bossuet, de La Fontaine, de La Bruyère et de Racine, persuadé avec raison que chacun de ces écrivains en particulier est un excellent modèle.

Ce préjugé des premiers savans a produit dans le seizième siècle une foule de poètes, d’orateurs et d’historiens latins, dont les ouvrages, il faut l’avouer, tirent trop souvent leur principal mérite d’une latinité dont nous ne pouvons guère juger. On peut