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c’est son ridicule adversaire qui accuse le plus respectable des PP. de l’Église d’absurdité ou d’inconséquence ; et c’est ainsi que la religion est défendue. Selon ce nouvel apôtre, on ne saurait être chrétien sans regarder les animaux comme des machines ; ainsi depuis S. Pierre jusques à Descartes, il n’y a point eu de chrétiens. Mais de pareilles absurdités doivent-elles étonner de la part d’un écrivain qui prétend que les devoirs de la morale ne peuvent être connus par la raison ; qui nous assure que l’existence des corps est une vérité révélée ; qui soutient enfin contre les prétendus incrédules, que l’âme est immortelle de sa nature ; proposition blasphématoire, puisqu’elle ravit à l’intelligence suprême un de ses attributs les plus essentiels. Le seul Etre incréé est immortel par essence. Notre âme ne l’est que par la volonté de cet Être, qui a jugé à propos de lui donner une existence éternelle, et dont elle reçoit à chaque instant cette existence par une création continuée. Ce n’est point par la dissolution des parties, comme les corps, que notre âme peut cesser d’être ; c’est en retombant dans le néant d’où l’Auteur de la nature l’a fait sortir, et où il pourrait à chaque instant la replonger. Voilà les premiers élémens de la métaphysique chrétienne, dont l’auteur aurait du être instruit avant que d’écrire. Il est pour lui aussi triste qu’humiliant d’être réduit à apprendre ces dogmes de la bouche de ceux même qu’il accuse de les combattre.

XXIV. Ceux qui exercent le métier de critique avec le plus de violence, et par conséquent de maladresse, ont quelquefois l’esprit d’être modérés quand ils sont sûrs d’attaquer avec avantage. Je ne sais par quelle fatalité les vengeurs du christianisme ont si souvent fait le contraire, et ont soutenu les intérêts de Dieu avec des injures : elles ont néanmoins de grands inconvéniens ; elles préviennent le lecteur contre celui qui les dit ; elles aigrissent et par conséquent éloignent des esprits que la modération aurait pu ramener ; enfin elles empêchent le critique de donner aux raisons qu’il apporte, tout le choix et toute l’attention nécessaire. Quand on se contentera, par exemple, comme font quelques enthousiastes, de dire à un athée, qu’il n’est point d’athées de bonne foi, que l’athéisme a sa source dans le libertinage du cœur, on aura sans doute raison en général ; mais espère-t-on réussir par ce moyen à faire des prosélytes ? Si l’intérêt qu’on croit avoir de nier une vérité doit rendre suspect le refus qu’on fait de la croire, cet intérêt n’est pas non plus une raison suffisante pour être condamné, quand on peut l’être sur de meilleures preuves. Plus un esprit éclairé approfondit