Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/601

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donc commencé à exister ; voilà le point fixe d’où l’on doit partir. Mais Dieu a-t-il arrangé les différentes parties de la matière dès le moment qu’il l’a créée, ou le chaos a-t-il existé plus ou moins de temps aidant la séparation de ses parties ? voilà sur quoi il est permis aux philosophes de se partager. En effet, s’il n’y a dans les corps que figure et mouvement, comme la saine physique le reconnaît, quel inconvénient y a-t-il à dire que l’Etre suprême, en créant la matière et en la formant d’abord d’une seule masse homogène et informe en apparence, a imprimé à ses différentes parties le mouvement nécessaire pour se séparer ou se rapprocher les unes des autres, et produire par ce moyen les différens corps ; que de cette grande opération, l’ouvrage du géomètre éternel, sont sortis successivement et dans le temps prescrit par le Créateur, la lumière, les astres, les animaux et les plantes ? Cette idée si grande et si noble, non-seulement n’a rien de contraire à la puissance ni à la sagesse divine, mais ne sert peut-être qu’à la développer davantage à nos yeux. D’ailleurs l’existence du chaos, avant la séparation de ses parties, est une hypothèse nécessaire à l’explication physique de la formation du globe terrestre. L’Être suprême a pu, dans un même instant, créer et arranger le monde, sans qu’il soit défendu pour cela au philosophe de chercher de quelle manière il aurait pu être produit dans un temps plus long, et en vertu des seules lois du mouvement établies par l’Auteur de la nature. Le système de ce philosophe pourra être plus ou moins d’accord avec les phénomènes ; mais c’est en physicien, et non en théologien qu’il faut le juger. Ainsi les Newtoniens, pour expliquer la figure de la terre, supposent qu’elle a été originairement fluide. Ainsi Descartes l’a regardée comme ayant été autrefois un soleil, obscurci et étouffé depuis par une croûte épaisse dont il s’est couvert ; hypothèse qui a essuyé d’aussi pitoyables chicanes de la part de quelques théologiens, que de bonnes objections de la part des philosophes.

XVII. Aucun physicien ne doute aujourd’hui que la mer n’ait couvert une grande partie de la terre habitée. Il paraît même impossible d’attribuer uniquement au déluge tous les vestiges qui restent d’une inondation si ancienne. On a attaqué cette opinion comme contraire à l’Ecriture ; il ne faut qu’ouvrir la Genèse pour voir combien une pareille imputation est injuste. Au troisième jour Dieu dit : que les eaux qui couvrent la terre, se rassemblent en un seul lieu, et que la terre ferme paraisse : ce passage a-t-il besoin de commentaire ? Peut-être trouverait-on dans le même chapitre des preuves de l’existence du chaos avant la