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XIX. Il y a dans notre musique trois choses à considérer, le récitatifs, les airs chantans, et les symphonies ; parcourons successivement ces trois objets. On entend quelquefois les partisans de Lully se récrier d’admiration sur ce que c’est un étranger qui a créé notre récitatif. Il y paraît ; on sait à quel point la prosodie y est estropiée, surtout dans les finales. On ne dira pas sans doute que ce contre-sens prosodique, si je puis l’appeler de la sorte, soit un agrément dans notre chant ; mais on prétendra peut-être qu’il est inévitable. Il y aurait d’abord un moyen facile d’y remédier ; ce serait de ne faire jamais tomber les chutes musicales que sur des terminaisons masculines ; et là-dessus il serait aisé au musicien et au poëte de s’entendre. Mais nous ne voyons pas d’ailleurs pourquoi il est plus nécessaire de faire sentir les finales dans le chant que dans la conversation et dans la déclamation même. En effet le caractère du chant, et surtout du récitatif, étant d’approcher du discours le plus qu’il est possible, pourquoi les chutes musicales y seraient-elles plus marquées qu’elles ne le sont dans le discours ? Aussi ne le sont-elles pas dans le récitatif des Italiens, bien plus analogue à leur langue que le récitatif français ne l’est à la nôtre. Ils paraissent avoir bien mieux étudié que nous la marche et les inflexions de la voix dans la conversation ; et il est singulier que dans une langue aussi remplie que la française de finales muettes, le récitatif appuie sur ces finales, tandis qu’il fait le contraire dans la langue italienne, dont les finales sont moins sourdes et les voyelles plus éclatantes. On dirait que c’est un Français qui a créé le récitatif italien, comme c’est un Italien qui a inventé le nôtre.

XX. Cependant il ne faut pas le dissimuler ; le récitatif italien dont nous faisons ici l’apologie, déplaît à la plupart des oreilles françaises. On ne doit pas en être surpris ; comme c’est un genre moyen entre le chant et le discours, il exige nécessairement dans celui qui l’écoute, l’habitude de l’entendre, jointe à la connaissance de la langue italienne et de sa prosodie. Ainsi le jugement sévère que nous portons à cet égard pourrait bien être précipité. Une réflexion suffira pour le faire sentir. Outre le récitatif courant des scènes, qui marche presque aussi vite que la déclamation ordinaire, les Italiens en ont un autre qu’ils appellent récitatif obligé, c’est-à-dire, accompagné d’instrumens, et qu’ils emploient souvent avec succès dans les morceaux d’expression, et surtout dans les tableaux pathétiques. Ce récitatif obligé, quand il est bien fait, et il est rare qu’il ne le soit pas lorsqu’il est traité par un bon maître, produit sur