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DE L’ÉQUILIBRE.

approfondie, que Marc-Laurin a fait tous ses efforts pour renverser, et à laquelle enfin les écrits d’un grand nombre de mathématiciens illustres ont contribué à intéresser le public. Ainsi, sans fatiguer le lecteur par le détail de tout ce qui a été dit sur cette question, il ne sera pas hors de propos d’exposer ici très-succinctement les principes qui peuvent servir à la résoudre.

Quand on parle de la force des corps en mouvement, ou l’on n’attache point d’idée nette au mot qu’on prononce, ou l’on ne peut entendre par là en général que la propriété qu’ont les corps qui se meuvent, de vaincre les obstacles qu’ils rencontrent, ou de leur résister. Ce n’est donc nt par l’espace qu’un corps parcourt uniformément, ni par le temps qu’il emploie à le parcourir, ni enfin par la considération simple, unique et abstraite de sa masse et de sa vitesse qu’on doit estimer immédiatement la force ; c’est uniquement par les obstacles qu’un corps rencontre, et par la résistance que lui font ces obstacles. Plus l’obstacle qu’un corps peut vaincre, ou auquel il peut résister, est considérable, plus on peut dire que sa force est grande, pourvu que sans vouloir représenter par ce mot un prétendu être qui réside dans le corps, on ne s’en serve que comme d’une manière abrégée d’exprimer un fait, à peu près comme on dit qu’un corps a deux fois autant de vitesse qu’un autre, au lieu de dire qu’il parcourt en temps égal deux fois autant d’espace, sans prétendre pour cela que ce mot de vitesse représente un être inhérent au corps.

Ceci bien entendu, il est clair qu’on peut opposer au mouvement d’un corps trois sortes d’obstacles : ou des obstacles invincibles qui anéantissent tout-à-fait son mouvement, quel qu’il puisse être, ou des obstacles qui n’aient précisément que la résistance nécessaire pour anéantir le mouvement du corps, et qui l’anéantissent dans un instant, c’est le cas de l’équilibre ; ou enfin des obstacles qui anéantissent le mouvement peu à peu, c’est le cas du mouvement retardé. Comme les obstacles insurmontables anéantissent également toutes sortes de mouvemens, ils ne peuvent servir à faire connaître la force : ce n’est donc que dans l’équilibre ou dans le mouvement retardé qu’on doit en chercher la mesure. Or tout le monde convient qu’il y a équilibre entre deux corps, quand les produits de leurs masses par leurs vitesses virtuelles, c’est-à-dire par les vitesses avec lesquelles ils tendent à se mouvoir, sont égaux de part et d’autre. Donc, dans l’équilibre, le produit de la masse par la vitesse, ou, ce qui est la même chose, la quantité de mouvement peut représenter la force. Tout le monde convient aussi que, dans le mouvement retardé, le nombre des obstacles vaincus est comme le carré de la vitesse ; en sorte qu’un corps qui a fermé un res-