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DE PHILOSOPHIE.

exact emporte plus nécessairement que le mot juste une sorte d’idée d’action dont l’habit n’est pas regardé comme susceptible ; et cela est si vrai, que si on suppose que l’habit ait une sorte d’action, alors le mot exact peut s’y adapter ; car on dit : un habit juste est celui qui s’applique exactement sur le corps ; parce que le mot s’appliquer suppose dans l’habit une espèce d’action, par laquelle il vient, pour ainsi dire, se joindre immédiatement à la surface des parties du corps qu’il couvre.

Il faudrait remarquer enfin dans l’ouvrage dont je trace ici le plan, que parmi les expressions figurées il y en a qui le sont plus ou moins selon que le mot y est plus ou moins détourné de son sens propre. Ainsi campagne riante est une expression plus figurée que campagne riche, car dans ce dernier cas on ne fait que transporter à campagne l’idée de la richesse qui appartient proprement au possesseur ; ces idées campagne, possesseur, riche, ont une analogie par laquelle elles se tiennent immédiatement, et on ne fait que supprimer par la pensée celle du milieu pour joindre les deux autres ; au lieu que dans le premier cas, celui de campagne riante, on regarde la campagne comme un être animé, et ayant une espèce de visage ; et ces idées n’ont point entre elles d’analogie, ou n’en ont qu’une fort éloignée. De même musique brillante est une expression moins figurée que pensée brillante : car dans le premier cas l’expression brillante n’est que transportée du sens de la vue auquel elle est propre, au sens de l’ouïe auquel elle n’appartient qu’improprement ; dans le second cas le mot brillant est transporté des objets sensibles à un objet purement intellectuel.

Qu’on me permette ici en passant une digression de quelques momens, occasionée par la phrase même musique brillante, que je viens de citer. Cette analogie plus ou moins imparfaite par laquelle on transporte au sens de l’ouïe des expressions propres au sens de la vue, peut aussi, ce me semble, avoir lieu jusqu’à un certain point dans la musique, et lui fournir des peintures, à la vérité très-imparfaites, d’objets qu’elle ne semble pas faite pour représenter. Si j’avais à exprimer musicalement le feu, qui dans la séparation des élémens prend sa place au plus haut lieu, pourquoi ne le pourrais-je pas jusqu’à un certain point par une suite de sons qui iraient en s’élevant avec rapidité ? Je prie les philosophes de faire attention qu’en ce cas la musique serait parfaitement analogue à ces deux phrases, également admises dans la langue ; le feu s’élève avec rapidité ; des sons qui s’élèvent avec rapidité. La musique ne fait autre chose que réunir en quelque sorte ces deux phrases dans un seul effet, en mettant le son à la place du feu : la musique réveille ça nous l’idée attachée à ces