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ÉLÉMENS

a dit de même les éclats d’une bombe, pour signifier les parties de la bombe qui s’élancent rapidement en se détachant d’elle ; d’ailleurs au moment que la bombe se fend de la sorte, cette scission de ses parties est accompagnée d’un bruit, du genre de ceux qu’on a nommé éclatans ; nouvelle raison pour dire que la bombe éclate, et pour appeler éclats les parties qui s’en échappent. De là et par extension on dit qu’un corps quelconque éclate lorsqu’il se fend et se crève avec bruit ; et par une extension encore plus grande, on dit que du bois, une pierre a éclaté, lorsqu’on y remarque des fentes, quoique ces fentes aient pu se faire sans bruit, parce que ce bruit ayant lieu souvent dans les corps qui se fendent, et en particulier dans le bois et les pierres, on suppose qu’il a pu avoir lieu dans chaque cas particulier.

Au reste, dans cette analyse des différens sens des mots, on pourrait encore remarquer les bizarreries de l’usage ; on dit, par exemple, éclater de rire, des éclats de rire, par allusion tout à la fois au bruit éclatant que l’on fait en riant avec force, et aux élancemens d’une bombe qui éclate ; mais on ne dit point un rire éclatant, quoiqu’il semble que par les mêmes raisons l’usage aurait pu autoriser cette expression.

Telle est la méthode qu’il faudrait suivre pour développer les différens sens par extension qu’on a donnés à un même mot. À l’égard du sens figuré, il faudrait remarquer d’abord les expressions qui ne sont en usage que dans ce seul sens, quoiqu’originairement elles aient rapport à l’expression d’une chose sensible, par exemple le mot de bassesse et beaucoup d’autres : il faudrait développer outre cela (ce qui est encore plus digne d’examen) comment certaines expressions dont le sens propre et primitif est purement intellectuel, ont été transportées à des objets sensibles : cette opération est contraire à celle qui se fait presque toujours dans les langues ; car pour l’ordinaire on y transporte les mots, de l’usage matériel et sensible, à l’usage intellectuel. Il ne paraît pas douteux que le sens propre et primitif du mot juste ne soit cette notion intellectuelle, rendre à chacun ce qui lui appartient ; or l’idée d’exactitude rigoureuse que cette notion suppose, a été appliquée à des objets matériels et à d’autres objets intellectuels purement spéculatifs ; frapper juste au but, un coup d’œil juste, une montre juste, mie balance juste, un calcul juste, un habit juste, un esprit juste. Pour prouver que c’est l’idée d’exactitude qui a occasioné l’emploi du mot juste dans toutes ces phrases, remarquons que dans toutes on peut substituer au mot juste le mot exact ; frapper exactement au but, un coup d’œil exact, etc. Il en faut pourtant excepter habit juste, auquel on ne peut pas substituer habit exact ; c’est que le mot