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ÉLÉMENS

Les connaissances d’utilité première, sont celles qui ont pour objet les besoins ouïes devoirs communs à tous les hommes. Ensuite viennent les connaissances qui nous sont utiles par rapport à la société particulière dans laquelle nous vivons ; savoir la connaissance des lois de cette société, et de ce que la nature fournit à nos besoins dans le pays que nous habitons. Enfin on doit placer au troisième rang les connaissances utiles à une société considérée dans son rapport aux autres.

Toutes les connaissances dont nous venons de faire mention doivent être cultivées dans une société policée. Il semble d’abord que cet objet ouvre un champ fort vaste ; cependant ce champ si vaste se resserre beaucoup, si on réduit ces connaissances à ce qu’elles ont d’absolument nécessaire.

À l’égard des connaissances simplement curieuses, il faut en distinguer de deux espèces. Quelques unes tiennent au moins indirectement aux connaissances utiles. Il doit donc être permis, il est même avantageux que ces sciences soient cultivées avec quelque soin, surtout si elles dirigent leurs recherches vers les objets d’utilité.

Mais que dirons-nous des connaissances de pure spéculation, de celles qui ont pour unique but le plaisir ou l’ostentation de savoir ? Il semble que l’on ne doit s’appliquer à ces sortes de sciences que faute de pouvoir être plus utile à sa nation. D’où il résulte qu’elles doivent être jdcu en honneur dans les républiques, oii chaque citoyen faisant une partie réelle et indispensable de l’Etat est plus obligé de s’occuper d’objets utiles à l’Etat. Ces études ont donc réservées aux citoyens d’une monarchie, que la constitution du gouvernement oblige d’y rester inutiles, et de chercher à adoucir leur oisiveté par des occupations sans conséquence.

Nous ne parlons encore ici que des sciences purement spéculatives, qui, renfermées dans un objet abstrait et difficile, ne sauraient être l’occupation ou l’amusement que d’un très-petit nombre de personnes. Il n’en est pas tout-à-fait de même des connaissances de pur agrément. Si leur culture ne peut être l’ouvrage que du talent et du génie, les fruits qui en naissent doivent être partagés et goûtés par la multitude. Ces connaissances pouvant contribuer à l’agrément de la société, sont sans doute préférables à cet égard aux connaissances de spéculation aride ; mais cet avantage est compensé par un inconvénient considérable. En multipliant les plaisirs, elles en inspirent ou en entretiennent le goût, et ce goût est proche de l’excès et de la licence ; il est plus facile de le réprimer que de le régler. Il serait donc peut-être plus à propos que les hommes se fussent