Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/261

Cette page n’a pas encore été corrigée
221
DE PHILOSOPHIE.

donc pas être la récompense de la fortune ; ils ne doivent donc pas se vendre. C’est à peu près, dit Platon, comme si on faisait quelqu’un général ou pilote pour son argent. Ceux qui ont fait la meilleure apologie de cette vénalité, ont dit que dans les États despotiques, où le prince gouverné par ses courtisans est exposé à faire de mauvais choix, le hasard donnera de meilleurs sujets que le choix du prince, et que l’espérance de s’avancer par les richesses entretiendra l’industrie ; c’est-à-dire, à proprement parler, que la vénalité des honneurs ne devrait avoir lieu que dans un gouvernement dont le principe serait mauvais, et dont le chef serait indigne de l’être.

Nous n’avons parlé jusqu’ici que des principes purement moraux qui doivent guider et éclairer les législateurs. La religion par ses préceptes, ses conseils, ses récompenses et ses peines, est le complément des lois ; mais comment et jusqu’à quel point doit-elle en faire partie ? De là plusieurs grandes questions qui appartiennent essentiellement à la morale législative. Est-il nécessaire que les lois civiles et celles de la religion soient séparées ? Que les unes et les autres n’aient rien de commun entre elles, ni quant aux obligations, ni quant aux peines ? Que la religion n’ait aucune influence sur les effets civils, ni ceux-ci sur la religion ? La tolérance de toutes les manières d’honorer l’Être suprême, ne serait-elle pas l’effet infaillible de cette distinction de lois ? Enfin, dans des élémens de morale législative, ne doit-on pas établir l’esprit de douceur et de modération à l’égard de quelque culte que ce puisse être ? Cette dernière question est la plus facile à décider. En effet, parmi cette multitude de religions qui couvrent la surface de la terre, il n’y a point de nation qui ne croie posséder la vraie ; ainsi des élémens de morale devant embrasser tout l’univers, décideraient en pure perte de la prééminence d’une religion sur une autre ; ils ne feraient làdessus changer aucun peuple ; ils doivent donc se borner à conseiller aux hommes de se supporter sur ce point. D’ailleurs, si l’intolérance religieuse d’une société par rapport à ses membres était autorisée par la morale, elle devrait l’être, par les mêmes principes, de société à société ; or, quel trouble affreux n’en résulterait-il pas sur la surface de la terre ? Animés par un zèle éclairé, nous envoyons nos missionnaires à la Chine ; si les Chinois, poussés par un zèle aveugle, en faisaient autant par rapport à nous, traînerions-nous leurs missionnaires au supplice ? Nous nous bornerions à tâcher de les convertir.

Il faut donc bien distinguer l’esprit de tolérance, qui consiste à ne persécuter personne, d’avec l’esprit d’indifférence qui regarde toutes les religions comme égales. Plût à Dieu que cette