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DE D’ALEMBERT.

d’un problème moins difficile ? mais il est un effort presque impossible à notre faiblesse, celui de supporter tranquillement l’injustice ; peut-être le sentiment de nos forces, qui fait souffrir tant de maux avec constance, est-il plus propre à fortifier qu’à détruire ce mouvement de la nature indignée, qu’il ne faut pas confondre avec la vanité ou avec la jalousie.

D’Alembert éprouvait alors les effets de cette injustice ; depuis qu’il s’était placé parmi les gens de lettres du premier ordre, on s’était rendu plus difficile sur sa réputation comme géomètre. Le public, qui laisse assez paisiblement les mathématiciens (dont il ne connaît que les noms) régler les rangs entre eux, et se distribuer la gloire à leur gré, n’eut pas la même indulgence pour un géomètre littérateur et philosophe ; quelques sa vans profitèrent de cette disposition générale, ils essayèrent modestement de faire croire qu’ils étaient au moins ses égaux ; et souvent des étrangers, qui n’avaient pas le même intérêt de déprimer sa réputation, ont été frappés de la contradiction qu’ils observaient entre l’opinion des sociétés de Paris et le jugement de l’Europe. D’Alembert crut voir la suite de la même injustice dans la manière dont sa solution du problème des trois corps était appréciée par quelques personnes (ce n’étaient pas celles qui l’avaient résolu ou qui auraient pu le résoudre), et il défendit avec chaleur des droits qu’il eût abandonnés même par amour-propre, si on avait été juste envers lui.

Dans ses Recherches sur le système du monde, d’Alembert examina la question de la figure de la terre ; Newton doit être regardé comme celui qui l’a traitée le premier, car Huyghens avait démêlé seulement l’influence que le changement de la force centrifuge aux différentes latitudes devait avoir sur la force de gravité, mais sans avoir bien connu la vraie direction et la véritable loi de la pesanteur. Newton résolut le problème, en regardant la terre comme un solide homogène de révolution. Clairaut en donna la solution dans l’hypothèse d’une densité variable, mais la même dans chaque couche concentrique, et en supposant par conséquent que la force de la pesanteur est toujours perpendiculaire à la surface. Ces suppositions, quelque naturelles qu’elles paraissent, sont un peu arbitraires, et d’Alembert traita le problème d’une manière plus générale et plus rigoureuse, en supposant seulement la figure peu différente d’une sphère, et la densité assujétie à une loi quelconque.

On sait que dans ces questions on suppose à la terre une figure telle que, si elle était fluide, ses parties resteraient en équilibre, et qu’elle conserverait la même figure, sans aucun autre changement que les oscillations produites dans la masse fluide par l’action des corps célestes ; cette supposition fit découvrir à d’Alembert, qu’il existait pour les fluides deux états d’équilibre, l’un fixe, auquel la masse reviendrait après avoir éprouvé un petit dérangement ; et l’autre non fixe, qu’un léger mouvement suffit pour détruire sans retour, observation qui, s’étendant à toutes les espèces de corps, est très-importante dans l’application des principes de la mécanique aux phénomènes de la nature.