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Comme je ne pouvais pas plus mal m’adresser que je ne l’avais fait la première fois, je lui ai fait part dernièrement du contenu de votre lettre. Il pense aussi que les temps ne sont pas propices pour une affaire de ce genre et que c’est peine perdue en ce moment que de s’en occuper. Quant aux renseignements sur Cayenne et l’Algérie, il publie lui-même ce qu’il en sait dans le feuilleton du Revendicateur[1]. Vous ignorez probablement que Tassillier en fut le principal fondateur et jusqu’à présent, l’unique rédacteur. Le berceau de ce journal a été entouré de menées qui ne m’ont pas paru bien claires; ses premiers parrains sont des ouvriers, se disant socialistes, et qui mettent leurs enfants et les enfants des autres en religion. Quoiqu’il en soit, le programme n’était pas mauvais ; les articles des numéros qui suivent le spécimen valent moins. Mais je n’ai pas voulu les commenter après ce que j’avais écrit dans le 26ème N° du Libertaire ; les petits grands hommes révolutionnaires d’ici sont si envieux les uns des autres qu’ils n’auraient pas manqué d’attribuer à un aussi bas mobile que l’esprit de dénigrement la consciencieuse expression de ma pensée. Loin de vouloir nuire au nouveau journal je voudrais qu’il pût vivre. Chacun ayant le droit d’en être actionnaire, moyennant un dollar, et tout actionnaire étant de droit rédacteur, c’est à ceux qui se disent et se croient hommes de progrès à y porter le tribut de leurs idées des articles socialistes. Malheureusement les nôtres sont bien paresseux, bien insouciants. A défaut d’orgueil social, ils n’ont même pas le courage de leur vanité, tout travail les effraie.

[p. 4] Pour ce qui est des évasions de Cayenne je me suis adressé à un des évadés, un jeune homme de bonne volonté, nommé Dime, qui a entre les mains de nombreux documents qu’il avait arrangés pour être livrés à la publicité. Il en a extrait pour vous un résumé en choisissant ce qu’il a pensé devoir vous être inconnu, attendu que son travail est fort long et ne peut guère être transcrit dans une lettre. Si. vous étiez sur les lieux, il se serait fait un plaisir de le mettre en entier à votre disposition. Je crains bien que vous ne trouverez pas dans cet extrait tout ce que vous espériez. Il s’était blessé à la main et j’ai du écrire sous sa dictée les notes qu’il avait commencé à copier et que vous trouverez ci-jointes.

Quant aux notes sur John Brown, je vous envoie sous bande tout ce que j’ai pu me procurer. Il m’est impossible de vous envoyer d’avantage

  1. Le Revendicateur, Journal social, politique et littéraire dont le premier numéro paru le 8 décembre 1860 à New York sous la rédaction de Tassillier fut annoncé comme une continuation du Libertaire. Toute- fois Déjacque n'avait rien à faire avec sa rédaction. Avant le premier numéro parut un page-spécimen, avec le programme du journal en français et en anglais. On trouve le nom de Déjacque dans la liste des souscripteurs. Le deuxième numéro parut le 19 janvier 1861, c.à.d. avant que le Libertaire n'eut cessé d'exister, une raison de plus pour Déjacque de ne plus faire paraître son journal. ,Le rédacteur du Libertaire” — écrivit-il dans son dernier numéro — ,abandonne la feuille qu'il a créé, et qui lui pèse lourdement sur les bras, pour ne pas compromettre par une publication simultanée, l'existence du nouvel organe révolutionnaire”.