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d’âne, et qui, les yeux fixés sur la perspective du progrès, s’en éloignent d’autant plus qu’ils font plus de chemin pour s’en rapprocher, les pieds, dans cette position, galopant du côté opposé au devant de la bête. Ces révolutionnaires-là, politiqueurs au cou pelé, ont conservé, avec l’empreinte du collier, la tache morale de la servitude, le torticolis du despotisme. Hélas ! ils ne sont que trop nombreux parmi nous. Ils se disent républicains, démocrates et socialistes, et ils n’ont de penchant et ils n’ont d’amour que pour l’autorité au bras de fer, au front de fer ; plus monarchistes en réalité que les monarchiens, qui à côté d’eux pourraient presque passer pour des an…archistes.

La dictature, qu’elle soit une hydre à cent têtes ou à cent queues, qu’elle soit démocratiques ou démagogique, ne peut assurément rien pour la liberté ; elle ne peut que perpétuer l’esclavage, au moral comme au physique. Ce n’est pas en enrégimentant un peuple d’ilotes sous un joug de fer, puisque fer il y a, en l’emprisonnant dans un uniforme de volontés proconsulaires, qu’il en peut résulter des hommes intelligents et libres. Tout ce qui n’est pas la liberté est contre la liberté. La liberté n’est pas chose qui puisse s’octroyer. Il n’appartient pas au bon plaisir de quelque personnage ou comité de salut public que ce soit de la décréter, d’en faire largesses. La dictature peut couper des têtes d’hommes, elle ne saurait les faire croître et multiplier ; elle peut transformer les intelligences en cadavres ; elle peut faire ramper et grouiller sous sa botte de verges les esclaves, commes des vers ou des chenilles, les aplatir sous son pas pesant, mais seule la Liberté peut leur donner des ailes. Ce n’est que par le travail libre, le travail intellectuel et moral que notre génération, civilisation ou chrysalide, se métamorphosera en vif et brillant papillon, revêtira le type humain et prendra son essor dans l’harmonie.

Bien des gens, je le sais, parlent de la liberté sans la comprendre, ils n’en ont ni la science ni même le sentiment. Ils ne voient jamais dans la démolition de l’autorité régnante qu’une substitution de nom ou de personne ; ils n’imaginent pas qu’une société puisse fonctionner sans maîtres ni valets, sans chefs ni soldats ; ils sont pareils, en cela, à ces réacteurs qui disent : « Il y a toujours eu des riches et des pauvres, il y en aura toujours. Que deviendrait le pauvre sans le riche ? il mourrait de faim ! » Les démagogues ne disent pas tout à fait cela, mais