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— Moi cela m’intrigue, cette chose, dit Raynaut, allons-nous voir ?

— Courons ! le plus brave est le premier rendu.

Is prirent leur élan et un même cri de terreur les glaça sur place.

— Annette ! Miséricorde ! un crime !

Ils la soulevèrent, aucun mal n’était visible ; tremblants et maladroits, ils parvinrent à l’emporter.

Décrire l’épouvante de leur arrivée, le désordre, les suppositions, l’angoisse de tous, est impossible, on appela Larcher, on le chercha vainement, alors les idées les plus bizarres se firent jour.

— Un sort ! un meurtre ! une vengeance !

Quand Annette rouvrit les yeux, vingt questions l’assaillirent, sa pauvre tête affolée avait perdu tout souvenir, elle pressait ses mains glacées sur son front moite, elle balbutiait, souffrait le martyre.

Soudain. elle bondit, s’élança comme une folle vers l’étang, criant :

— Claude ! Claude ! oh ! revenez. Mon Dieu, Sainte-Vierge, sauvez-le !

Alors les assistants comprirent, des falots furent apportés, des crocs, un bateau et l’on fit des sondages que le fond de vase et les herbes marines rendaient difficiles.

Enfin, après de longs efforts, on ramena une loque boueuse, enflée, un cadavre noyé.

Longtemps on craignit pour la raison d’Annette, puis la vie fit son œuvre d’apaisement immuable, et un jour la jeune femme qui, distraitement, parcourait les colonnes d’un journal, tressaillit tout à coup ; son être entier fut secoué d’une commotion électrique dont la pile était le cœur. Ses yeux avaient rencontré cet entrefilet :

« Le vaillant capitaine Dominique d’Auteroche vient encore d’être mis à l’ordre du jour ; il a le premier planté le drapeau français sur la forteresse de X… Le ministre vient de lui envoyer la croix des braves. ».

Alors, de nouveau, une idée germa dans son cerveau fatigué de souffrir, son cœur battit une charge de jeunesse et d’amour, elle regarda l’horizon et le vit tout bleu.

Le lendemain, le facteur de Sonas emportait dans sa boite à mystères une lettre à cette adresse : « Capitaine Dominique d’Auteroche, aux chasseurs sénégalais », etc., etc.

Et le contenu de la mission, écrit d’une main frémissante, était ceci :

» Vous avez su, Dominique, la catastrophe qui a terminé la journée de mon mariage. Dieu n’a pas voulu que mon sacrifice fût consommé. Il m’a laissé la liberté, l’honneur, la fortune et mon amour ; je vous offre le tout, Dominique, revenez, je vous attends."

« ANNETTE »

Les semaines passèrent, l’impatience, l’attente, l’amour ne laissaient aucun repos à la pauvre jeune femme, elle sursautait à tout bruit, guettait le facteur des heures, puis un jour ce fut une dépêche qui parvint.

Elle l’ouvrait tremblante, rose d’émotion ; elle contenait ces mots :

« Trop tard, Annette, mon cœur est mort. »

FIN
RENÉE D’ABLANCOURT