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Ce furent des merveilles fines, ajourées, brodées de couronnes, des L et des S enlacés.

Les piles s’amoncelaient nouées de rubans et garnies de sachets de poudre d’héliotrope blanc. Quel plaisir elle éprouvait à porter ces ravissantes choses ; déjà, dans sa hâte d’en jouir, elle avait entamé les douzaines, caché les dentelles, déchiré les broderies ; ses frères lui avaient volé de minuscules mouchoirs en soie, tissés de guirlandes de fleurs, les bouts rongés émergeaient de leur pochette gauche, et ils les jetaient au hasard pour en prendre de nouveaux dans les corbeilles, où ils étaient entassés avant l’expédition à Sonas.

Sa trousse de voyage en ivoire et vermeil était aussi livrée au pillage, les ciseaux et le canif avaient disparu, les brosses sentaient le cosmétique des moustaches de Raynaut, et Annette, indifférente, laissait faire son entourage, offrant elle-même dans sa joie d’avoir à donner.

L’arrivée à Sonas fut cependant pour elle un éclair de bonheur, son vieux nid pimpant lui fit honneur, elle s’en alla par les anciennes allées, retrouvant les coins aimés, ses fleurs, ses petites places abritées où elle avait joué enfant, et le vieux puits caché sous les sedum où elle se mirait.

Larcher la laissait libre. si délicat, si peu exigeant, un sourire le payait, un regard ému le comblait ; de temps à autre il appuyait avec ferveur ses lèvres chaudes sur le bout des doigts de sa fiancée avec tant de reconnaissance, tant de piété, qu’Annette était touchée et se jurait de tout faire pour rendre heureux cet homme excellent.

Le soir du contrat, Me Calixte Parchemineau vint des Sables pour lire ladite chose où toutes les morts sont prévues. La cérémonie eut lieu simplement en famille, les frères servant de témoins. Tous tombèrent dans les bras du brave Larcher, après la lecture de l’article : Apport du futur époux, qui se terminait ainsi : « Je lègue à ma chère future femme tous mes biens-meubles et immeubles, à la seule charge de faire à ma sœur Céleste Larcher, religieuse à Corfou, au couvent des sœurs de la Sagesse, une rente annuelle de douze mille francs. »

Trois jours après eut lieu le mariage, au milieu d’une pompe quasi royale. De Paris, des départements voisins, la noblesse était accourue, les cadeaux s’amoncelaient. Le pape avait envoyé sa bénédiction, qu’un beau cadre doré attendait dans la chambre nuptiale ; la reine Paquita, le conte d’Hougonet aussi adressaient de superbes écrins.

Un présent, remarquable entre tous, était celui du duc d’Aufred : il représentait un souvenir, un poème, un symbole, toute une profession de foi sous la forme d’une fleur de lys en or, incrustée d’une quantité de pierres précieuses, une boite qu’un ressort invisible pouvait ouvrir. Alors on restait ébloui : au milieu, dans le haut fleuron, sur un fond de saphyrs, une ravissante miniature d’Henri V enfant était peinte, accompagnée à droite et à gauche, sur les deux autres branches du lys, des portraits du duc et de la duchesse de Berry.

En pointe, au bas, la vénérable figure de Pie IX. Sur la ceinture de la fleur, cette devise ensemencée de diamants : Spes in cœlo.

Toute la passion d’un glorieux passé était enfermée là, elle renfermait la pensée, la clôture de ce grand rêve au funèbre éveil. Le vieux croyant légitimiste avait composé ce bijou avec son amour déçu, mais immortalisé dans le cœur d’une petite église de fidèles qui se le repassaient de père en fils sans rien diminuer nuer ou effacer, grandissant plutôt l’auréole du malheur.

La royauté n’habitait plus la terre, le fier Vendéen ne se courberait désormais devant personne. On citait de lui cette réponse typique, faite à un ami qui le complimentait, un soir de juin, au sujet de l’élévation subite de son cousin au premier emploi de France : « Ne me parlez pas de Casimir, il a mal tourné, aussi l’avons-nous rayé de la famille ».

Une autre entêtée marquise, du fond de son castel menait tout un coin de pays avec ses largesses et ses influences, disant naïvement :

« — À présent qu’il n’y a plus de reine, je ne vois que la sainte Vierge au dessus de moi, »

Et c’était une guerre sourde au pays, l’antagonisme des doubles écoles laïques