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et les Russes sont les premiers cochers du monde ; les plus habiles étaient des vieillards et des enfants ; les enfants surtout m’étonnent. La première fois que

    mouvement d’esprit, un si heureux mélange de raison et de gaieté faisait d’elle un des types de ces femmes françaises qui, avec leur énergie cachée sous des grâces dont elles seules ont le secret, sont selon les temps des coquettes séduisantes ou des héros. Les révolutions éprouvent le fond des cœurs et mettent au jour les vertus ignorées.
      Naturellement obligeante, elle était heureuse du bien qu’elle faisait plus que des services qu’on lui rendait et pourtant… faculté rare !… elle avait poussé la délicatesse de l’amitié au point d’apprendre à recevoir aussi bien qu’à donner ; c’est avoir atteint la perfection du sentiment.
      Veillant de près et de loin sur ses amis, sans jamais les importuner de sa sollicitude ; toujours sincère avec elle-même et patiente envers les autres ; résignée à leurs imperfections comme à la nécessité, cachant avec un soin contraire à celui que prennent les femmes ordinaires, une philosophie profonde sous la légèreté du discours, elle voyait les hommes comme ils sont, et les choses du côté consolant. Ceux qui l’ont connue, savent aussi bien que moi tout ce qu’il y avait de sagesse, de courage dans sa manière prompte et simple de se soumettre aux circonstances, et de charité, d’élévation, de pénétration dans ses jugements sur les caractères.
      Éclairée sur les objets de ses affections, elle les aimait malgré leurs défauts qu’elle ne cherchait à cacher qu’aux yeux du monde, elle les aimait dans leurs succès comme dans leurs revers, car elle était exempte d’envie, et ce qui est plus rare et plus beau, elle savait en même temps s’abstenir de toute générosité de parade.
      Ses procédés envers les amis malheureux paraissaient le résultat d’une douce inspiration plutôt que le produit d’un calcul de vertu