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fous, des ponts en bois pour aider à traverser les cours d’eau et les mares ; enfin on n’a rien négligé afin de rendre ce chemin praticable, quoiqu’il soit moins beau et beaucoup plus raboteux que la grande route. Arrivé à un relais je fis demander au maître de poste la cause de cette singularité : mon feldjæger me transmit l’explication de cet homme ; la voici : cette route de rechange est destinée aux rouliers, aux bestiaux et aux voyageurs, les jours où l’Empereur ou les personnes de la famille Impériale se rendent à Moscou. On évite par cette séparation la poussière et les embarras qui incommoderaient et retarderaient les augustes voyageurs si la grande route restait publique au moment de leur passage. Je ne sais si le maître de poste s’est moqué de moi, il parlait d’un air très-sérieux, et trouvait fort simple, à ce qu’il me parut, de laisser accaparer le chemin par le souverain dans un pays où le souverain est tout. Le roi qui disait : la France, c’est moi ! s’arrêtait pour laisser passer un troupeau de moutons, et sous son règne le piéton, le roulier, le manant qui suivait le grand chemin, répétait notre vieil adage aux princes qu’il rencontrait : « La route est pour tout le monde ; » ce qui fait vraiment les lois, c’est la manière de les appliquer.

En France les mœurs et les usages ont de tout temps rectifié les institutions politiques ; en Russie,