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des assauts qu’on livre à son corps, sous prétexte de le fortifier. Avec le caractère que ses manières, sa physionomie et son langage font supposer, ce prince doit souffrir dans son pays moralement autant que physiquement. C’est le cas d’appliquer le mot de Champfort : « Dans la vie de l’homme, il vient inévitablement un âge où il faut que le cœur se bronze ou se brise. »

Le peuple russe me fait l’effet de ces hommes d’un talent gracieux, et qui se croient nés exclusivement pour la force : avec le laisser aller des Orientaux il possède le sentiment des arts, ce qui équivaut à dire que la nature a donné à ces hommes le besoin de la liberté : au lieu de cela leurs maîtres en font des machines à oppression. Un homme, pour peu qu’il s’élève d’une ligne au-dessus de la tourbe, acquiert aussitôt le droit, bien plus, il contracte l’obligation de maltraiter d’autres hommes auxquels il est chargé de transmettre les coups qu’il reçoit d’en haut ; quitte à chercher, dans les maux qu’il inflige, des dédommagements à ceux qu’il subit. Ainsi descend d’étage en étage l’esprit d’iniquité jusque dans les fondements de cette malheureuse société qui ne subsiste que par la violence, mais une violence telle qu’elle force l’esclave à se mentir à lui-même pour remercier le tyran ; et de tant d’actes arbitraires dont se compose chaque existence particulière, naît ce qu’on appelle ici l’ordre