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savoir pour être heureux dans la colonie sibérienne ? Peuvent-elles renier tous leurs souvenirs, toutes leurs habitudes pour dissimuler le malheur de leur position aux innocentes victimes de leur amour ? L’élégance native des parents ne doit-elle pas inspirer à ces jeunes sauvages des désirs qu’ils ne pourront jamais réaliser ? quel danger, quel tourment de tous les instants pour eux et quelle mortelle contrainte pour leur mère ! Cette torture morale ajoutée à tant de souffrances physiques est pour moi un rêve affreux dont je ne puis me réveiller : depuis hier matin, à chaque instant du jour ce cauchemar me poursuit ; je me surprends disant : que fait maintenant la princesse Troubetzkoï ? Que dit-elle à ses enfants ? De quel œil les regarde-t-elle ? Quelle prière adresse-t-elle à Dieu pour ces créatures damnées avant de naître par la providence des Russes ? Ah ! ce supplice qui tombe sur une génération innocente déshonore toute une nation !!…

Je finis par l’application trop méritée de ces vers de Dante. Quand je les appris par cœur j’étais loin de me douter de l’allusion qu’ils me fourniraient ici :

Ahi Pisa ! vituperio delle genti
Del bel paese là dove’l si sona,
Poich’i vicini a te punir son lenti,
Muovasi la Capraia e la Gorgona,
E faccian siepe ad Arno in su la foce,
Si ch’egli annieghi in te ogni persona :