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la princesse écrit une seconde lettre du fond de sa hutte ; cette lettre est adressée à sa famille, mais destinée à l’Empereur. C’était se mettre sous les pieds de son ennemi, c’était oublier ce qu’on se doit à soi même ; mais qui ne l’absoudrait, l’infortunée ?… Dieu appelle ses élus à tous les genres de sacrifices même à celui de la fierté la plus légitime ; Dieu est généreux et ses trésors sont inépuisables… Oh ! l’homme qui pourrait comprendre la vie sans l’éternité n’aurait vu des choses de ce monde que le beau côté ! il aurait vécu d’illusions comme on voudrait me faire voyager en Russie.

La lettre de la princesse est arrivée à sa destination, l’Empereur l’a lue ; et c’est pour me communiquer cette lettre qu’on m’a empêché de partir ; je ne regrette pas le retard : je n’ai rien lu de plus simple ni de plus touchant : des actions comme les siennes dispensent des paroles : elle use de son privilége d’héroïne, elle est laconique, même en demandant la vie de ses enfants… C’est en peu de lignes qu’elle expose sa situation, sans déclamations, sans plaintes. Elle s’est placée au-dessus de toute éloquence : les faits seuls parlent pour elle ; elle finit en implorant pour unique faveur la permission d’habiter à portée d’une apothicairerie, afin, dit-elle, de pouvoir donner quelque médecine à ses enfants quand ils sont malades… Les environs de Tobolsk, d’Irkutsk ou