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limites de la sensibilité humaine, qui prend sa source sur les confins de l’âme et du corps ; ce qui ne parle qu’à l’esprit va moins loin ; il y a là une admirable fusion de la sensation et de la pensée. Voilà ce que Duprez a fait de la poésie chantée ; il a réalisé la tragédie lyrique, si longtemps et si vainement cherchée en France par des talents incomplets ; c’est que pour réussir à faire révolution dans l’art, il fallait d’abord savoir le métier mieux que personne. Quand on a pu admirer cette merveille, on devient difficile et souvent injuste pour le reste. Il y a une foule de voix qui me font regretter les instruments. Négliger la parole comme moyen d’expression musicale, c’est abdiquer, c’est méconnaître la vraie poésie de la musique vocale, c’est en borner la puissance qui n’a été complétement et systématiquement révélée au public français que par Duprez lorsqu’il a ressuscité Guillaume Tell. Voilà pourquoi ce grand artiste a sa place marquée dans l’histoire de l’art.

La nouvelle école de chant en Italie, dont Ronconi est aujourd’hui le chef, revient aussi aux grands effets de l’ancienne musique par l’expression de la parole, et c’est encore Duprez qui, depuis ses brillants débuts sur le théâtre de Naples, a contribué à ce retour ; car il poursuit son œuvre à travers toutes les langues et pousse ses conquêtes chez tous les peuples.