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dans ses destinées, elle est écrite, passez-moi l’ex- pression, dans les fastes de son avenir ; son influence sur des peuples plus avancés est précaire.

Mais à présent que cette nation a dérayé[1] sur la grande voie de la civilisation, nul homme ne peut lui faire reprendre sa ligne. Dieu seul sait où il l’attend : voilà ce que je pressentais à Pétersbourg, et ce que je vois clairement à Moscou.

Il faut le répéter, Pierre le Grand ou plutôt l’impatient, fut la cause première de cette erreur, et l’admiration aveugle dont il est encore aujourd’hui l’objet justifie l’émulation de ses successeurs, qui croient lui ressembler, parce qu’ils éternisent la fausse politique de ce demi-génie, rival acharné des Suédois, plutôt que régénérateur des Russes. Copier éternellement les autres nations, afin de paraître civilisé avant de l’être, voilà la tâche imposée par lui à la Russie.

Il faut l’avouer, le résultat immédiat de ses plans tient du prodige. Comme directeur de spectacle, le Czar Pierre est le premier des hommes ; mais l’action positive de ce génie aussi barbare, aussi dénué de cœur, quoique plus instruit que les esclaves qu’il discipline, est lente et pernicieuse ; c’est aujourd’hui seulement qu’elle s’accomplit et qu’on peut la juger définitivement. Le monde n’oubliera pas que les seules

  1. Voir ce mot dans Rabelais, Pantagruel, livre III, chapitre iii, page 207. Dans la première édition j’avais mis dérailé.